2009-04-18 - Homélie : A Dieu !
L'église de Notre-Dame de Bourg était trop petite pour accueillir ceux qui étaient venus entourer, samedi 18 avril, le jeune de 19 ans brutalement retiré à l'affection des Siens, emporté par le mal du siècle : un cancer ! Douleur silencieuse de toute une famille ; souffrance de ses nombreux amis !
Pour le prêtre qui doit prêcher, c'est aussi un moment d'épreuve. Son premier mouvement, c'est d'en dire le moins possible ou même, plus radicalement, de se taire ! Son second mouvement est plus modéré : quelques mots quand même ! Car le silence ne peut que renforcer le sentiment d'accablement, rendre plus palpable le vide d'une absence !
Parler, oui ! Mais alors, comment rejoindre ceux qui pleurent ! La souffrance fait toujours émigrer sur une autre planète. De toute évidence, l'Assemblée était peuplée de chrétiens fervents. La nef transpirait la foi ; il suffisait d'entendre les réponses aux prières et les chants s'élever sous les voûtes ! Alors, donc, parler de la foi !
Au pied d'un cercueil - déposé à même la pierre - entouré de toute une jeunesse, la foi est obligée de se découvrir dans sa nudité. Par la foi, dit le Catéchisme de l'Eglise catholique, reprenant le Concile Vatican II, "l'homme s'en remet tout entier librement à Dieu."
"S'en remettre" !! A première vue, il s'agit donc d'une démission ! Plus profondément, cela veut dire qu'on ne tient pas sa propre raison comme critère ultime d'explication ; le croyant refuse de puiser dans les seules ressources de son intelligence, la mesure de l'événement. Car il y a ce qu'il perçoit... mais il y a aussi tout ce qui lui échappe ! Et ce qu'il ignore est plus vaste que ce qu'il sait.
L'acteur célèbre, Michel Serrault, décédé il y a quelques années, témoigne avec limpidité de ce mouvement intérieur de la foi en le faisant jaillir de l'expérience de sa propre vie, ce qui donne à ses paroles une grande authenticité :
« Entre vos mains, Seigneur, je remets mon incapacité à comprendre et à vivre certaines heures. J'ai perdu une de mes filles, à 19 ans... Je ne comprends pas... Mais je partage cette incompréhensible souffrance avec les millions de personnes dans le monde qui perdent leur enfant. Je fais partie des humains qui pleurent.
Je crois, mais je ne comprends pas toujours Dieu. Dieu est Amour, et des enfants se tuent en voiture. Il est Amour, et il y a le Rwanda. C'est le grand mystère. Je laisse ça avec un immense point d'interrogation. Je reste sans réponse devant la mort des innocents, mais j'affirme : Dieu est Amour, c'est la clé de tout. »
S'en remettre à Dieu, c'est accepter de laisser Dieu être Dieu comme il l'entend ! C'est refuser de Lui dicter Sa conduite, fût-ce en nous laissant déloger de nos positions les plus sûrement établies par le bon sens de nos raisonnements !
Le célèbre romancier catholique qu'a été Bernanos est allé jusqu'à écrire ce bouleversant dialogue entre Dieu et une mère qui perd son enfant :
« Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d'une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d'une résignation extérieure, comme si la Voix qui a jeté les soleils dans l'étendue ainsi qu'une main jette le grain, la Voix qui fait trembler les mondes, venait lui murmurer doucement à l'oreille : "Pardonne-moi. Un jour, tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais maintenant, ce que j'attends de toi, c'est ton pardon, pardonne." »
En quelque sorte, Dieu implore le pardon de sa créature, parce qu'elle ne peut saisir le sens de l'événement qui lui cause une souffrance si profonde. En somme, la Foi nous permet de demeurer dans la paix, alors que nous sommes dans l'obscurité, mais avec l'assurance de la pleine lumière à venir.
+ Père Guy Bagnard
Évêque de Belley-Ars