2010-11-12 - Edito : Les saints n'ont pas disparu !
La Toussaint, qui réunit dans une même fête les saints de tous les temps, ne doit pas diminuer le champ de notre regard. Car, à côté de tous les saints déclarés, il y a aussi les saints ignorés. Ne peut-on penser que ces derniers pourraient bien être plus nombreux que les premiers ! On en saisit sans peine la raison. C'est qu'entreprendre une reconnaissance officielle de sainteté est un parcours semé d'obstacles. Il y faut des années ! Car il s'agit de recueillir à leur sujet de nombreux témoignages, de les vérifier, de reconstituer des tranches entières du passé. Qui peut se lancer dans une aussi longue aventure, dont la conclusion est toujours incertaine !
Ainsi, l'existence de beaucoup de chrétiens tombe dans l'oubli alors que leur vie est marquée d'authentiques signes de sainteté, sans que personne ne songe à en faire reconnaître publiquement la réalité. La grandeur de leur vie chrétienne restera seulement dans la mémoire de leurs proches. Elle ira rejoindre celle de beaucoup d'autres, ensevelie dans le secret de Dieu. N'est-il pas nécessaire, de temps en temps, de faire surgir de l'obscurité la beauté de ces vies données, alors que le plus souvent, on ne donne à voir que le mal commis.
Le long cortège des disciples bien-aimés du Christ
En restant dans l'actualité, je voudrais d'abord évoquer la figure des sept moines de Thibirine, victimes d'une terrorisme aveugle, et dont le film "Des hommes et des dieux", en ce moment sur les écrans, retrace avec profondeur les derniers mois de leur vie. Toutes les séquences du film mériteraient d'être ici rappelées. J'en retiens pourtant une seule ; elle achève le film. On y voit les moines marcher en file indienne dans la neige, les mains liées dans le dos. Ils n'ont pas besoin d'être traînés. Ils avancent d'un bon pas, librement. Ils vont d'eux-mêmes au peloton d'exécution.
Un sentiment d'une grande noblesse se dégage de cette scène émouvante. Le silence est profond ; même le bruit des pas est étouffé par la neige qui tombe. Le silence est profond ; les moines savent qu'il sont à leurs derniers moments. Ils disparaissent un à un dans le brouillard ! Quelle grandeur en ces êtres tout donnés à Dieu ! C'est de Ses mains à Lui et de Son coeur qu'ils reçoivent ce peuple au milieu duquel ils ont voulu vivre jusqu'au bout. Pas de retour en arrière. La trajectoire de leur vie n'est qu'une ligne droite où se rejoignent l'amour de Dieu et du prochain, résumé de toute la Bible. Ils font partie du long cortège des disciples bien-aimés du Christ.
Ne pourrait-on pas évoquer ici également un homme bien connu de nous tous, dont les funérailles ont été célébrées naguère à Notre-Dame de Bourg. A sa manière, il a été l'apôtre des pauvres. Je veux parler de M. Ernest Girard. "Voix de l'Ain" a retracé sa vie dans l'une de ses dernières éditions. Il y a chez ce serviteur des pauvres un côté spectaculaire, qui tient déjà à la somme débordante de ses activités, avec une préférence pour les isolés, les sans-logis, les déracinés de la vie.
Visiter, accueillir, consoler, adoucir les peines
Comment un même homme a-t-il pu assumer autant d'activités ? Que l'on songe, par exemple :
- à son action au Secours Catholique où il a oeuvré pendant des années ; à chaque Noël, il était présent au repas des démunis et des sans-famille !
- à ses nombreuses initiatives pour l'implantation des Compagnons d'Emmaüs sur la région ;
- à la création, dans les années soixante-dix, du F.A.R. - ce "Foyer d'Accueil et de Reclassement" - en raison du nombre croissante de marginaux ;
- à la fondation de "Tremplin", en 1984, au moment où s'organisaient les premières "haltes de nuit".
On pourrait ajouter à ce programme son action au sein du Conseil Municipal de Bourg pendant une dizaine d 'années. Mais ce n'est pas ici le lien d'en détailler le contenu.
Par contre, comment passer sous silence l'année 1976, l'année de ses soixante ans. Il quitte la Laiterie pour la retraite ! Pas pour se reposer, mais pour donner une nouvelle ampleur à son amitié de prédilection pour les pauvres, puisqu'il pourra leur consacrer tout son temps ! Ainsi, une une nouvelle tranche de sa vie s'ouvre devant lui, trente années pendant lesquelles il va pouvoir continuer à visiter, accueillir, consoler, adoucir les peines, trouver les solutions matérielles pour celles et ceux qui viennent frapper à sa porte. « Si on vient nous demander, c'est qu'on a besoin de nous ! » explique-t-il. « Avec ma femme, on n'a jamais su dire non ! Vous savez, il y a vraiment des cas dramatiques. Ah ! j'en aurais à raconter ! » Les dernières années de sa vie ont connu inévitablement une baisse de régime, mais à 81 ans, il allait encore visiter les personnes malades à l'Hôtel-Dieu, trois fois par semaine !
L'action d'un seul peut modifier tout un ensemble
D'où tirait-il son énergie ? De sa force physique ? C'est vrai que sa stature imposante remplissait tout l'écran. Si nécessaire qu'elle soit, ce n'est pourtant pas à cette source-là que s'alimentaient ses forces vives ! Le physique était chez lui au service d'une réalité plus profonde, celle de la Foi ! Il avait une certain pudeur pour en parler, mais la simple croix en forme de Tau, la croix des Capucins - qu'il aimait porter, suspendue à une simple cordelette - en disait long sur son attachement à la Personne du Christ, du Christ crucifié dont il reconnaissait la présence dans tous les rejetés de la vie ! Il n'avait pas peur de se montrer croyant et d'aller chercher sa nourriture intérieure dans la pratique des sacrements.
Une vie chrétienne, aussi remplie de bonté envers les petits, à elle seule, est un message. Elle nous montre ce qu'un homme, aussi profondément catholique, peut réaliser dans son existence. La plupart de ce qui se fait aujourd'hui sur Bourg au service des pauvres procède en partie de ses initiatives : l'action d'un seul peut modifier tout un ensemble ; elle peut transformer une mentalité défaitiste, en montrant ce qui est possible !
Oui, il y a des saints ignorés. Généralement, ils ne font pas de bruit ! Leur parole, c'est leur existence ! A leur contact, on se sent devenir meilleurs. Le monde en sort grandi ! Ce sont les saints, connus ou inconnus, qui élèvent le monde puisque, comme disait si bien le Curé d'Ars : « Là où les saints passent, Dieu passe avec eux ! »
+ Père Guy Bagnard, Evêque de Belley-Ars