2009-03-06 - Edito : Donner
"Donner" n'est pas un acte aussi simple qu'on le croit. Parce qu'il fait appel à la générosité, nous pensons spontanément qu'il va de soi, que c'est un acte bon ! Inutile, donc, de s'appesantir sur lui. Le Christ, pourtant, a attiré la vigilance de ses disciples sur lui.
Il invite, par exemple, à ne pas "donner" à ceux qui peuvent nous rendre. On voit en effet ce qui peut se glisser d'égoïsme quand on donne à quelqu'un qui pourra nous rendre en retour. On donne alors avec une arrière pensée ! Pour qu'un don soit un vrai don, il faut qu'il soit totalement gratuit, il faut donner à fonds perdus.
Mais si l'on donne à celui qui ne peut vous rendre, on peut cependant chercher aussi à attirer le regard des autres sur soi quand on donne. C'est pourquoi le Christ appelle ses disciples à donner sans se montrer. Un don peut être l'occasion cachée de se faire admirer, de recevoir des éloges ; dans ce cas, Jésus dit : "vous avez déjà reçu votre récompense" et il ajoute : "que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite !" Bref, que le don reste secret ! C'est la façon la plus sûr de préserver la droiture d'intention !
Cette disposition intérieure à laquelle Jésus appelle son disciple doit aller jusqu'à la renonciation d'une parole de reconnaissance ! Car l'attente d'un merci abîme la qualité du don ! Elle fait bifurquer la générosité vers une satisfaction de soi-même ! Ce que l'on donne d'une main, d'une certain façon, on le reprend de l'autre ! Voilà qui exige beaucoup du donateur ; car c'est toujours une épreuve de ne pas recevoir de "merci". On a alors le sentiment que l'on n'est pas reconnu dans le bien que l'on fait ! Qui de nous ne se décourage pas de donner parce qu'il n'a pas été remercié !! N'est-ce pas laisser croire à l'autre qu'il a tous les droits ? Mais à la réflexion, nous-mêmes, quel droit avons-nous de pouvoir donner aux autres ? Quel mérite avons-nous d'avoir reçu la vie, l'éducation, la santé, le métier, etc... Jésus nous a prévenus : "A celui qui a beaucoup reçu, il lui sera beaucoup demandé !"
Le chemin sur lequel Jésus invite ses disciples à marcher se prolonge dans une nouvelle direction. Un jour, il a attiré l'attention de ses auditeurs sur un petit événement qui, sans cela, serait passé totalement inaperçu. Une pauvre veuve avait glissé deux piécettes dans le tronc du Temple, alors que d'autres riches personnages avaient glissé de gros billets. Et voici l'appréciation de Jésus : "Elle a donné plus que tous les autres". Raison : "Elle a donné de son nécessaire alors que les autres ont donné de leur superflu."
Le jugement de Jésus nous découvre quelque chose de profond. Le don doit entraîner des conséquences dans la vie de celui qui donne ! Le donateur doit ressentir les effets de ce qu'il donne sur lui-même. Des effets très concrets qui l'amènent à changer de vie, qui l'amènent non seulement à renoncer à être remercié, mais à entrer dans une nouvelle façon de se conduire, comme la veuve qui a donné de son nécessaire ; le soir, en rentrant chez elle, elle n'a peut-être pas pu se nourrir comme d'habitude parce qu'il manquait dans sa bourse la piécette qu'elle avait donnée. Les occasions de changer la direction de nos existences sont nombreuses : Supprimer un voyage ;renoncer à un temps de vacances ; sacrifier un achat dont on rêve depuis longtemps ! un vêtement - des chaussures de marque !
Cela suppose de modifier son jugement sur la façon dont on se comporte dans la vie courante, sur la façon dont on se détermine dans ses choix, dont on prend ses décisions.
La distinction que fait Jésus entre "le nécessaire" et "le superflu" est d'une grande portée parce qu'elle nous conduit à renouveler notre regard sur nous-même, au point de nous conduire à une transformation intérieure. Jésus interroge : quelle qualité a le don que tu fais s'il n'a aucune incidence sur ta vie ?
Bien sûr, le don - même modeste - est d'abord destiné à aider celui qui le reçoit - mais il est aussi destiné à nous changer nous-mêmes ! C'est le coeur qui doit être touché par la main qui donne !
C'est sans doute sur ce chemin-là que voulaient nous conduire les Évêques de France quand ils ont publié le texte déjà ancien sous le titre :"Pour de nouveaux modes de vie". C'est aussi ce à quoi s'emploient les services caritatifs de notre Église, plus spécialement pendant, le temps de Carême, le CCFD. Je lis ce que Monseigneur Bernard Housset, Président du Conseil de la Solidarité, a écrit récemment :
« Par des comportements individuels et des décisions politiques, nous devons mettre en ?uvre un nouvel art de vivre ; et il énumère :
un nouvel art de vivre
- qui réoriente nos manières de produire et de consommer en visant la sobriété ;
- qui ne compromet pas les possibilités de développement des générations futures ;
- qui soit respectueux de notre environnement au lieu de l'exploiter inconsidérément ;
- qui lutte pour un nouveau contrat social au niveau mondial ;
- qui agit pour le remboursement de la dette des pays pauvres ;
- qui appelle sans se lasser à ce que 0,70 % du PIB soit consacré à l'aide au développement des pays les plus pauvres, alors que, malgré toutes les promesses, nous en sommes loin.
... C'est avec l'aide de Dieu et de sa charité inépuisable qu'est l'Esprit-Saint que nous y parviendrons. »
Voilà pourquoi nous devons nous laisser façonner par Dieu Lui-même. La prière est le lieu privilégié pour cette transformation intérieure ; la prière fait descendre en nous la sensibilité de Dieu. Elle nous met en état d'agir comme Dieu ! Porté dans la prière, chaque don devient ainsi un pas nouveau accompli sur la route de notre conversion personnelle !
N'est-ce pas ce qui nous a été dit le Mercredi des Cendres : « Convertissez-vous et croyez à l'Évangile ».
+ Père Guy Bagnard, Évêque de Belley-Ars