2010-02-12 - Edito : La vérité de l'histoire
L'annonce par Benoît XVI d'une possible béatification du pape Pie XII a marqué l'actualité de ces dernières semaines. Ce fut l'occasion pour beaucoup d'hommes et de femmes de tout horizon de s'exprimer, le plus souvent pour s'indigner de cette initiative et pour décerner un blâme retentissant au Pape actuel.
Heureusement, quelques voix s'élèvent pour rappeler tout simplement l'histoire, au-delà de tout esprit partisan. On lira plus loin la récente déclaration de Bernard-Henri Lévy, reproduite dans l'Osservatore Romano de langue française, du 19 janvier dernier. C'est en effet le moment de rappeler un certain nombre de faits historiques et, en particulier, certaines déclarations de hautes personnalités juives qui ont jalonné les années de l'après-guerre.
Par exemple, celles d'Albert Einstein, qui a pu dire, au début de la Seconde Guerre Mondiale : "L'Eglise catholique a été la seule à élever la voix contre l'assaut mené par Hitler contre la liberté". Le 7 septembre 1945, Giuseppe Nathan, commissaire de l'Union des communautés israélites, rend grâce au Souverain Pontife, aux religieux et aux religieuses, "qui n'ont vu dans les persécutés que des frères, selon les indications du Saint-Père." Le 21 septembre 1945, le docteur Léo Kubowitski, secrétaire du Congrès juif mondial, est reçu par Pie XII afin de lui présenter ses remerciements "pour l'oeuvre effectuée par l'Eglise catholique dans toute l'Europe, en défense du peuple juif". Le 29 novembre 1945, l'United Jewish Appeal envoie une délégation de 70 rescapés des camps de concentration au Vatican pour exprimer à Pie XII la reconnaissance des Juifs pour son action en leur faveur. En 1955, à l'occasion des célébrations du dixième anniversaire de la Libération, l'Union des communautés israélites proclame le 17 avril "jour de gratitude" pour l'assistance fournie par le pape durant la guerre. Le 26 mai 1955, 94 musiciens juifs, sous la direction de Paul Kletzki, jouent sous les fenêtres du Vatican "en reconnaissance de l'oeuvre humanitaire grandiose accomplie par le pape pour sauver un grand nombre de juifs pendant la seconde guerre mondiale." Le 9 octobre 1958, à la mort de Pie XII, le premier ministre israélien, Madame Golda Meir, déclare : "Pendant la décennie de terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre terrible, la voix du pape s'est élevée pour condamner les persécuteurs. Nous pleurons un grand serviteur de la paix." On pourrait ajouter à ceux-là bien d'autres témoignages, dont celui du grand rabbin de Rome Zolli, qui se fit baptiser en 1945 sous le nom d'Eugenio, le prénom du pape, en hommage à tout ce que ce dernier avait fait pour les juifs.
Pourquoi aujourd'hui s'indigner avec une telle passion contre Benoît XVI ? Tout d'abord, ce n'est pas lui qui est à l'origine du Procès de béatification. La revue "Histoire du christianisme", dans son numéro du mois de mai 2001, propose une longue interview du rapporteur du Procès, le père Peter Gumpel. Celui-ci explique : "L'annonce de l'ouverture du procès a été faite par le pape Paul VI le 19 novembre 1965. Un certain nombre de procès ont été faits pour préparer la Cause. Comme dans le cas de tous les papes, le principal procès s'est déroulé à Rome, mais avec des procès subsidiaires, à Gênes, à Munich, à Berlin, à Varsovie, à Madrid, à Lisbonne et à Montevideo (Uruguay). Tout cela constitue une masse de documents très importante ; on doit prendre en compte quantité de livres, d'actes et d'autres textes. En plus, aujourd'hui, les attaques contre Pie XII ne manquent pas et les nouveaux ouvrages sur la question non plus. Cela donne un travail écrasant."
Pourtant, avec les années, le procès informatif a avancé. C'est pour cette raison que Benoît XVI a pu déclarer l'héroïcité des vertus du pape Pie XII, en même temps d'ailleurs que celle de Jean-Paul II. Mais pourquoi faudrait-il que la vérité soit écartée par crainte de représailles ? Pourquoi laisser à la peur la règle de notre conduite ? C'est une question à laquelle nous ne devons pas nous dérober, surtout après que Jean-Paul II nous ait tracé la route avec ses toutes premières paroles lors de son arrivée sur le siège de Pierre : « N'ayez pas peur » !
+ Père Guy Bagnard
Evêque de Belley-Ars
Extrait de l'article de Bernard-Henri Lévy
Je reviendrai, s'il le faut, sur la très complexe affaire Pie XII.
Je reviendrai sur le cas de Rolf Hochhuth, auteur de ce fameux « Vicaire » qui lança, en 1963, la polémique autour des « silences de Pie XII ». Je reviendrai sur le fait, en particulier, que ce bouillant justicier est aussi un négationniste patenté, condamné plusieurs fois comme tel et dont la dernière provocation consista, il y a cinq ans, dans une interview à l'hebdomadaire d'extrême droite "Junge Freiheit", à prendre la défense du négateur des chambres à gaz David Irving.
Pour l'heure je veux juste rappeler (...) que le terrible Pie XII fut, en 1937, alors qu'il n'était encore que le cardinal Pacelli, le coauteur de l'encyclique « Avec une brûlante inquiétude » qui demeure, aujourd'hui encore, l'un des manifestes antinazis les plus éloquents de l'époque.
Pour l'heure, on doit à l'exactitude historique de préciser qu'avant d'opter pour l'action clandestine et le secret, avant d'ouvrir donc, sans le dire, ses couvents aux juifs romains traqués par les nervis fascistes, le « silencieux » Pie XII prononça des allocutions radiophoniques (celles, par exemple, de Noël 1941 et 1942) qui lui valurent, après sa mort, l'hommage d'une Golda Meir qui savait ce que parler veut dire et ne -craignit pas de déclarer : « pendant les dix ans de la terreur nazie, alors que notre peuple souffrait un martyre effroyable, la voix du pape s'est élevée pour condamner les bourreaux. »
Et, pour l'heure, on s'étonnera surtout que, de l'assourdissant silence qui se fit, dans le monde entier, autour de la Shoah, on fasse porter tout le poids, ou presque, sur celui des Souverains du moment qui a) n'avait ni canons ni avions à sa disposition; b) ne ménagea pas ses efforts pour, nous disent la plupart des historiens sérieux, partager avec ceux qui en disposaient les informations dont il avait connaissance; c) sauva, lui, effectivement, à Rome mais aussi ailleurs, un grand nombre de ceux dont il avait la responsabilité morale. Ultime retouche au Grand Livre de la sottise contemporaine : Pie ou Benoît, on peut être pape et bouc émissaire.
Bernard-Henri Lévy
Pour aller plus loin
A visionner
Extrait de l'agence ZENIT - le monde vu depuis Rome - du 3 février 2010
Pie XII et les juifs : deux chercheurs sèment la confusion
Une erreur de date, cause de fausses accusations
Un document présenté comme preuve de l'indifférence de Pie XII lors de « la rafle » des juifs de Rome, renferme une grave erreur de date de la part des chercheurs qui l'ont présenté : le texte a été écrit avant ces terribles faits. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les deux chercheurs qui ont fait ces « révélations », il ne s'agit pas d'un document inédit : le texte avait déjà été publié en 1964 et était largement connu des historiens. Dimanche dernier, l'agence italienne ANSA faisait état de « révélations » faites par Giuseppe Casarrubea et Mario Cereghino qui disaient avoir retrouvé dans les archives britanniques un document qui, selon eux, était daté du 19 octobre 1943, autrement dit trois jours après la rafle des juifs de Rome par les nazis.
Dans ce document, le chargé d'affaire américain Harold Tittman rend compte au gouvernement américain de son entretien avec le pape Eugenio Pacelli, qui « au lieu de s'indigner pour la déportation de plus de 1000 juifs romains s'était plutôt inquiété de la présence 'de bandes communistes stationnées aux alentours de Rome' », selon l'interprétation du document présenté par l'ANSA.
Or les chercheurs, comme l'explique dans un message envoyé à ZENIT le professeur Ronald Rychlak, de l'University of Mississippi, auteur de plusieurs recherches sur Pie XII, ont commis une grave erreur dans la lecture de la date.
« Le message transcrit à Washington par Harold Tittmann est daté du 19 octobre, mais il y a une erreur. Les comptes-rendus du Vatican montrent que sa rencontre avec le pape a eu lieu le 14 octobre », affirme-t-il.
'L'Osservatore Romano' du 15 octobre 1943 rapporte en effet en première page qu'Harold Tittmann a été reçu par le pape en audience privée le 14 octobre », alors que la rafle contre la communauté juive a eu lieu le 16 octobre.
« Apparemment, le chiffre '14' a été lu par erreur comme un '19' », relève Ronald Rychlak. « Le pape ne parlait pas de la rafle des juifs car elle n'avait pas encore eu lieu ! ».
« Sa préoccupation était qu'un groupe de communistes ne commette un acte de violence, un fait qui aurait eu de sérieuses conséquences. Bien entendu, au printemps suivant, les faits lui donnèrent raison », conclut le professeur.
Un « inédit » publié il y a 46 ans
Dans les révélations des deux chercheurs figure une autre grave erreur, puisqu'ils ont présenté leur texte à l'ANSA en disant qu'il était inédit. Le document en réalité a déjà été publié en 1964 et les historiens le connaissent bien. On le trouve dans la série « Foreign Relations of United States » (FRUS), à l'intérieur du deuxième volume relatif à l'année 1943, pag. 9
Sur son blog, Andrea Tornielli, vaticaniste du quotidien italien « Il Giornale », rappelle que Casarrubea et Cereghino ne sont pas nouveaux dans ce type de « révélations ». « En octobre 2008, écrit Andrea Tornielli, ils passèrent pour inédit un document pour l'utiliser contre Pie XII (toujours répercuté par l'ANSA) et furent obligés de s'excuser, comme on peut le lire sur le site vaticanfiles.splinder.com ».
Cette question a également été soulevée par le professeur d'histoire italien Matteo Luigi Napolitano, spécialisé dans les relations entre l'Etat et l'Eglise et l'histoire des traités et des politiques internationales à l'université d'Urbino, qui déclare, sur la page I segni dei tempi, que le document cité par Casarrubea et Cereghino est également connu dans sa version italienne, ayant été publié par Ennio Di Nolfo dans son livre « Vaticano e Stati Uniti: dalle carte di Myron Taylor » (Milan 1978, republié en 2003).
Le document que les deux chercheurs qualifient d' « inédit », rappelle-t-il, a été présenté et discuté dans les biographies et dans bon
nombre d'essais sur Pie XII, « des livres que de toute évidence Casarrubea et Cereghino ne se sont pas donnés la peine de lire, continuant à faire passer pour « neuves » et « inédites » des choses que les historiens, les historiens sérieux, connaissent et dont ils discutent depuis des années ».
Jesús Colina
ZENIT