2009-12-25 - Edito : Que devons-nous faire ?
Noël ! Aucune naissance dans l'histoire n'a été aussi longuement préparée et attendue.
Aussi quand l'événement se produit, la tendance spontanée est de laisser tomber dans l'oubli les longs siècles de préparation et de se désintéresser des étapes qui les ont jalonnés. Quand la fleur a donné son fruit, pourquoi se soucier encore de la terre où elle a puisé sa croissance ? Pourtant, l'histoire sainte forme un tout !
Abraham, Moïse, David, les Prophètes font partie de la lignée qui a engendré le Christ. Ils sont comme autant de marches qui permettent d'arriver jusqu'à Jésus, à la manière des escaliers qui ouvrent sur l'étage supérieur. Jésus Lui-même dit dans l'Evangile : "Abraham a vu mon jour et il s'est réjoui." Saint Irénée expliquera plus tard que Dieu prenait le temps d'apprivoiser l'humanité. Aujourd'hui encore, nous avons besoin de nous laisser apprivoiser par Dieu.. tellement son message nous prend à contrepied !
Aussi peut-être est-il bon de s'arrêter un instant à l'ultime marche qui reste à gravir : Jean-Baptiste. Il est omniprésent dans la liturgie qui précède Noël. Les Evangiles nous rapportent que ses contemporains se pressent en foule sur les rives du Jourdain pour recevoir de ses mains le baptême de conversion. Ils n'hésitent pas à lui poser la question la plus dangereuse qui soit : "Que devons-nous faire ?"
La réponse arrive : concise, sobre, directe, limpide, digne d'un homme habitué au silence et à la solitude du désert. A tous, il donne la même consigne : "Contentez-vous de ce que vous avez". Sus au superflu ! Que l'on soit militaire, percepteur, simple particulier, il s'agit de résister à cette pente inscrite dans la nature humaine qui pousse à accumuler des biens ! Sinon, vous serez avalé, digéré par votre avoir ! En un temps record, vous deviendrez prisonnier du "trop" que vous aurez engrangé !
On entend l'objection : "'Il faut bien quand même un minimum pour vivre !" Oui, sans doute, mais le champ des besoins s'élargit à un rythme qui va s'accélérant. Car le désir obéit à une loi étrange : il augmente au fur et à mesure qu'il est satisfait. De lui-même, il exige toujours plus, toujours mieux et toujours plus vite ! l'exemple le plus insolent que nous offre notre époque est celui du spéculateur qui court sans fin après les profits les plus faramineux, dans une recherche qui n'a plus rien de rationnel. Gardons-nous de penser que ce risque ne nous touche pas, nous qui sommes "raisonnables" ! Tous, nous sommes comme aimantés par le "toujours plus" ! Il n'est donc pas difficile de transposer l'époque de Jean-Baptiste à la nôtre. Chacun estime que le superflu dont il jouit fait partie de son strict nécessaire ! Et le nécessaire élargit un peu plus chaque jour son territoire en revendiquant ses droits. Du reste, si ce n'est pas nous qui exigeons, ce seront "les autres" ! Alors, dans cette course folle, il vaut mieux être en tête du peloton !
Vivant dans les pays nantis, nous disposons d'un "standing" qui est sans égal avec la majorité des pays d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique latine. La simple justice appelle un rééquilibrage entre tous les êtres humains qui vivent sur la planète. Certes, ce rééquilibrage est déjà à poursuivre à l'intérieur des pays d'abondance, car nous voyons bien que les niveaux de vie sont chez nous aussi disproportionnés. Mais quand la comparaison s'établit avec les pays dits en voie de développement, alors nous restons bouché bée tellement le fossé est profond et semble-t-il - ce qui est plus grave - continue de se creuser.
Benoît XVI a donc bien raison de rappeler l'urgence d'une conversion à l'échelon mondial : "Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d'épargne, d'investissement... soient la communion avec les autres hommes pour une croissance commune." (Caritas in veritate, n. 51). Il ne s'agit pas, en effet, de récuser toute croissance, "car l'idée d'un monde sans développement traduit une défiance à l'égard de l'homme et de Dieu." (ibid. n. 14) Mais, "pour fonctionner correctement, l'économie a besoin de l'éthique ; non pas d'une éthique quelconque, mais d'une éthique amie de la personne." (ibid. n. 45)
L'adoration du Nouveau-Né dans la crèche passe par une station auprès de celui qui l'a désigné comme l'Agneau de Dieu. Il répétait à ceux qui l'interrogeaient : "Contentez-vous de ce que vous avez !" Aujourd'hui, la voix du Baptiste est celle de l'Eglise. Sa parole ne fait pas que résonner dans le vide. Les hommes de bonne volonté sont plus nombreux qu'il n'y paraît. Témoin, ce commentaire de l'encyclique, venant d'un des ministres du Gouvernement :
« La pensée du Pape entrevoit le cauchemar d'une humanité enivrée par la prétention prométhéenne de "se recréer en s'appuyant sur les prodiges de la technologie"... Mais la source de ces déviances restent unique : la déshumanisation. Car où que nous vivions et à quelque degré de responsabilité que nous nous situions, chacun de nous peut renouer avec l'amour et le pardon, le renoncement au superflu, l'accueil du prochain, la justice et la paix. Cette conduite relevait de l'exigence morale. Elle est devenue une condition de survie... Rarement un Pape n'aura touché d'aussi près le réel pour en disséquer les maux et pour proposer, avec pragmatisme et lucidité, les plus utiles contrepoisons. Puisse son message être entendu ! »
Ainsi, l'agenouillement devant l'Enfant de la crèche appelle, au préalable, un moment passé avec Jean-Baptiste ; c'est simple respect des chemins de l'histoire. Et pour aller jusqu'au bout, nous devons nous risquer à la même question que celle des auditeurs de Jean-Baptiste : "Que devons-nous faire ?" Bien sûr, le contexte a bien changé, mais on peut s'attendre à ce que le fond de la réponse soit le même : "N'amassez pas ! Partagez votre superflu."
Et le signe le plus décisif que c'est sur ce chemin qu'il faut marcher, c'est la pauvreté de Celui que nous adorons en cette nuit de Noël !
+ Père Guy Bagnard
Evêque de Belley-Ars
Noël 2009