2009-05-26 - Enseignement : Journée du Presbyterium — Diocèse de Belley-Ars

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2009-05-26 - Enseignement : Journée du Presbyterium

Le 26 mai 2009 à Ainterexpo (Bourg-en-Bresse)

Première partie

Une jour­née de gra­tui­té

Cette Jour­née du pres­by­te­rium est d'abord une jour­née de gra­tui­té. Bien sûr, il y a tout na­tu­rel­le­ment un pro­gramme. C'est in­évi­ta­ble ! Mais l'es­sen­tiel est bien la ren­con­tre, l'ami­tié, l'échange.

La gra­tui­té nous est d'au­tant plus chère et bien­fai­sante qu'elle n'est pas très fré­quente. L'am­pli­tude de la tâ­che nous pousse à al­ler au-de­vant des sol­li­ci­ta­tions de toute sorte. Les im­pé­ra­tifs du quo­ti­dien lais­sent peu de place à la gra­tui­té. Que cette jour­née soit donc "no­tre" jour­née, à nous, prê­tres du même pres­by­te­rium.

Un en­cou­ra­ge­ment adres­sé aux prê­tres

Le Car­di­nal Hum­mes vient d'adres­ser une let­tre à tous les prê­tres du monde, à l'oc­ca­sion du 150e an­ni­ver­saire de la mort de saint Jean-Ma­rie Vian­ney ; et il an­nonce, à la suite du Pape, l'ou­ver­ture de l'an­née sa­cer­do­tale, le 19 juin pro­chain, à Rome, à la Ba­si­li­que Saint-Pierre? Je re­lève ces mots :

"l'Eglise veut dire, aux prê­tres avant tout, mais aus­si à tous les chré­tiens, (...) com­bien elle est fière de ses prê­tres, com­bien elle les aime, les vé­nère, les ad­mire et re­con­naît avec gra­ti­tude leur tra­vail pas­to­ral et le té­moi­gnage de leur vie. Vrai­ment, les prê­tres sont im­por­tants non seu­le­ment pour ce qu'ils font, mais aus­si pour ce qu'ils sont. "

Cette ap­pré­cia­tion du Car­di­nal, je la fais mienne et je l'adresse à vous, tout spé­cia­le­ment, qui tra­vaillez dans le dio­cèse de Bel­ley-Ars ; à vous qui pre­nez la peine de ser­vir les com­mu­nau­tés pa­rois­sia­les ou les di­vers ser­vi­ces qui as­su­rent la bonne mar­che du dio­cèse. Mer­ci, sur­tout, d'être ve­nus par­ta­ger en­sem­ble cette jour­née.

La dé­mar­che dio­cé­saine d'évan­gé­li­sa­tion

L'axe gé­né­ral de cette jour­née est ce­lui de l'évan­gé­li­sa­tion. C'est en ef­fet dans ce vaste chan­tier que le dio­cèse s'est en­ga­gé de­puis trois ans. Un chan­tier dont nous sa­vons bien qu'il ne sera ja­mais ache­vé, mais au­quel nous vou­lons don­ner joyeu­se­ment et en­sem­ble nos for­ces !

J'en rap­pelle les prin­ci­pa­les éta­pes :

  • Ce mou­ve­ment d'évan­gé­li­sa­tion s'est d'abord ou­vert avec la re­mise du Li­vre des Ac­tes des Apô­tres dans les pa­rois­ses.
  • Il s'est pour­sui­vi, l'an­née sui­vante, par la ré­cep­tion de la croix de l'évan­gé­li­sa­tion avec son pas­sage dans tou­tes les pa­rois­ses ; cette pé­ré­gri­na­tion s'achè­ve­ra l'an­née pro­chaine.
  • Et cette an­née, en fé­vrier, s'est tenu le "Fo­rum de l'évan­gé­li­sa­tion" - au Parc des Ex­po­si­tions, où nous som­mes ré­unis à nou­veau ; il a per­mis beau­coup de ren­con­tres en­tre chré­tiens des dif­fé­ren­tes pa­rois­ses.
  • L'an­née pro­chaine aura lieu la "Quin­zaine de l'évan­gé­li­sa­tion". Elle se pré­pare ac­ti­ve­ment. Un comp­te-ren­du du Con­seil dio­cé­sain de Pas­to­rale en donne un aper­çu dans le der­nier Bul­le­tin Eglise des Pays de l'Ain.

La place du prê­tre dans cette dé­mar­che

Dans cette en­tre­prise, où beau­coup de chré­tiens sont en­ga­gés, la place du prê­tre est ca­pi­tale. C'est fi­na­le­ment lui, le prê­tre, qui donne le ton et dé­ter­mine la mar­che. Dans une let­tre déjà an­cienne du 15 juillet 2008, le même Car­di­nal Hum­mes en­voyait un mes­sage aux prê­tres à l'oc­ca­sion de la fête du 4 août. Il écri­vait :

"Les prê­tres sont la force de la vie quo­ti­dienne des com­mu­nau­tés lo­ca­les. Quand les prê­tres se re­muent l'Église se bouge. S'il n'en était pas ain­si, il se­rait très dif­fi­cile de réa­li­ser la mis­sion. Vous, les prê­tres, vous êtes la grande ri­chesse, le dy­na­misme et l'ins­pi­ra­tion pas­to­rale et mis­sion­naire au mi­lieu des gens, là où vi­vent les bap­ti­sés. Sans vo­tre dé­ci­sion, dé­ter­mi­nante, de ga­gner le large, pour la pê­che à la­quelle le Sei­gneur vous con­vo­que, il ne se pas­se­rait que peu ou rien dans le do­maine de cette mis­sion ur­gente, aus­si bien dans la mis­sion ad gen­tes, que dans les ter­ri­toi­res d'an­cienne évan­gé­li­sa­tion."

Ce lan­gage a le mé­rite de la clar­té. Il nous re­dit l'im­por­tance du prê­tre pour la mar­che en avant de la com­mu­nau­té !

Le Coeur du Christ de­mande à bat­tre dans le coeur des prê­tres

Et c'est tout à fait lo­gi­que. Il suf­fit de se rap­pe­ler ce qu'est le prê­tre. Jean-Paul II, à la der­nière page de Pas­to­res dabo vo­bis (n. 82), au tout der­nier nu­mé­ro, a cette phrase : "Le coeur de Dieu s'est ré­vé­lé plei­ne­ment à nous dans le coeur du Christ Bon Pas­teur. Ce coeur de­mande à bat­tre en d'au­tres coeurs, ceux des prê­tres. Les gens ont be­soin de sor­tir de l'ano­ny­mat et de la peur, ils ont be­soin d'être con­nus et ap­pe­lés par leur nom, de mar­cher avec as­su­rance sur les sen­tiers de la vie, de se re­trou­ver s'ils sont per­dus, de re­ce­voir le sa­lut comme don su­prême de l'amour de Dieu. C'est ce que fait Jé­sus le Bon Pas­teur, c'est ce que font les prê­tres avec lui."

"Ce coeur de­mande à bat­tre en d'au­tres coeurs, ceux des prê­tres". L'ex­pres­sion du Pape est pro­che de ce que Jean-Ma­rie Vian­ney di­sait du sa­cer­doce : "C'est l'amour du coeur de Jé­sus " (No­det 100). Et de fait, dans no­tre mi­nis­tère, nous ne fai­sons rien d'au­tre que de lais­ser bat­tre no­tre coeur au rythme du coeur du Christ ; no­tre mi­nis­tère fait bat­tre no­tre coeur à l'unis­son du coeur de Jé­sus ! Quand nous pro­non­çons ses pa­ro­les, quand nous re­fai­sons ses ges­tes - à moins d'être to­ta­le­ment étran­gers à ce que nous fai­sons - nous ac­cueillons en nous les sen­ti­ments qui sont ceux du Christ Jé­sus, et les ef­fets de sa­lut sont les mê­mes pour nos frè­res !

L'ap­pel au cé­li­bat con­sa­cré

Vous avez en­ten­du par­ler du Père René-Luc, du dio­cèse d'Al­bi. Il a 43 ans. Il a fon­dé le groupe mu­si­cal "To­tus tuus". Il a eu un iti­né­raire as­sez ex­cep­tion­nel avant d'en­trer tar­di­ve­ment au sé­mi­naire. Il est d'ailleurs venu don­ner son té­moi­gnage dans no­tre dio­cèse. Dans une in­ter­view, il a dit au jour­na­liste : "Lors de ma pre­mière messe, juste après mon or­di­na­tion en 1994, au mo­ment de la con­sé­cra­tion, j'ai dit les pa­ro­les du Christ : "Ceci est mon corps li­vré pour vous". Je par­lais bien en­ten­du du Corps de Jé­sus, mais je crois que ces pa­ro­les étaient aus­si un peu les mien­nes. En les di­sant, je ne peux pas ne pas me don­ner, me li­vrer to­ta­le­ment, à moins de res­ter étran­ger à ce que je di­rais."

Je pense que, quand nous di­sons : "Ceci est mon corps li­vré", on peut y en­ten­dre comme un écho de l'ap­pel au cé­li­bat con­sa­cré, c'est à-dire que le prê­tre, s'il fait vrai­ment sien­nes les pa­ro­les qu'il pro­nonce, donne to­ta­le­ment son corps au Christ pour le ser­vice de l'Evan­gile ! Be­noît XVI di­sait, dans une ho­mé­lie, que quand le Christ s'adresse aux Apô­tres, en leur di­sant : "Je vous ap­pelle mes amis", on pou­vait y voir déjà comme une an­nonce de leur con­sé­cra­tion comme prê­tres.

Nous avons tous be­soin d'écou­ter no­tre être de prê­tre, d'écou­ter ce qu'il nous dit de­puis que le coeur du Christ bat dans le nô­tre, par le sa­cre­ment qui nous a fait prê­tres. "Ecou­ter", c'est-à-dire sa­voir nous te­nir en si­lence, main­te­nir ces es­pa­ces où nous pou­vons - même fur­ti­ve­ment - réen­ten­dre de­vant Dieu "nos" pa­ro­les et re­lire "nos" ges­tes ! Les pa­ro­les et les ges­tes de no­tre mi­nis­tère ! Nous ré­ap­pre­nons d'eux ce que nous som­mes de­ve­nus. Et nous re­par­tons avec un nou­vel élan. Jean-Ma­rie Vian­ney di­sait, avec des for­mu­les dont il avait le se­cret - des for­mu­les pres­que bru­ta­les dans leur sim­pli­ci­té - "Si nous n'avions pas le sa­cre­ment de l'Or­dre, nous n'au­rions pas No­tre Sei­gneur." (No­det p. 100). A la ré­flexion, c'est vrai !

"La joie d'être prê­tre"

Quand nous re­pre­nons mieux con­science de ce que nous som­mes par pure grâce, nous en­trons dans l'as­su­rance et dans la joie. J'ap­pré­cie que la re­traite in­ter­na­tio­nale qui se pré­pare et qui aura lieu à Ars du 27 sep­tem­bre au 3 oc­to­bre pro­chain, ait pris comme ti­tre et comme thème :"la joie d'être prê­tre".

Car au fond, la joie est ce qui, en nous, est le plus at­ti­rant pour les au­tres ! Ce qui sus­cite les plus vi­ves in­ter­ro­ga­tions, ce qui met en route vers ce que tout le monde cher­che : le Bon­heur ! La mis­sion "Tous­saint 2004" à Pa­ris avait re­te­nu comme thème les pa­ro­les du Psaume : "Qui nous fera voir le bon­heur ?" Nous cher­chons tous le bon­heur et quand nous ren­con­trons quel­qu'un sur no­tre route, qui est pro­fon­dé­ment heu­reux, spon­ta­né­ment, on veut en sa­voir da­van­tage - On le suit ! - Il nous in­té­resse parce que l'on veut aus­si être heu­reux et dé­cou­vrir le che­min qui mène au Bon­heur. La joie est en elle-même mis­sion­naire.

La joie de la com­mu­nion fra­ter­nelle

On peut ajou­ter à la joie per­son­nelle la joie d'être en­sem­ble, c'est-à-dire l'uni­té, la fra­ter­ni­té. Vous vous sou­ve­nez sans doute de ce que Jean-Paul II avait dit aux Jour­nées mon­dia­les de la Jeu­nesse à To­ron­to, à la messe de clô­ture, le 28 juillet 2002 : "Même la plus pe­tite flamme qui va­cille sou­lève le lourd man­teau de la nuit. Com­bien plus de lu­mière pou­vez-vous faire tous en­sem­ble, si vous êtes pro­ches les uns des au­tres dans la com­mu­nion de l'Eglise".

On peut trans­po­ser en di­sant la même chose aux prê­tres du même pres­by­te­rium. A une cen­taine, on donne plus de lu­mière qu'à un tout seul. C'est le même ap­pel que lan­çait Jean-Ma­rie Vian­ney à ses pa­rois­siens d'Ars en leur par­lant de la prière : "La prière par­ti­cu­lière res­sem­ble à la paille ça et là dis­per­sée dans un champ : si l'on y met le feu, la flamme a peu d'ar­deur ; mais ré­unis­sez les brins épars, la flamme est abon­dante et s'élève haut vers le ciel. Telle est la prière pu­bli­que." (A Ra­vier, texte in­édit).

Quand l'uni­té évan­gé­lise

Tout ce qui est ras­sem­blé rend plus vi­si­ble et plus au­di­ble le mes­sage dont est por­teur le ras­sem­ble­ment ! Et donc at­tire da­van­tage ! Mais il ne faut pas ou­blier la de­mande con­te­nue dans l'orai­son du Ven­dre­di Saint pour l'Uni­té des chré­tiens : "Dieu qui ras­sem­ble ce qui est dis­per­sé et qui fais l'uni­té de ce que tu ras­sem­bles, nous Te prions d'unir dans la to­ta­li­té de la foi et par le lien de la cha­ri­té, tous les hom­mes qu'un seul bap­tême a con­sa­crés."

Se ras­sem­bler est une chose ; être vrai­ment unis au sein d'un même ras­sem­ble­ment est en­core une au­tre chose. Et c'est bien cette der­nière uni­té-là qui est évan­gé­li­sa­trice; car elle im­pli­que le lien de la foi et de la cha­ri­té en­tre ceux qui sont ras­sem­blés. Le "Voyez comme ils s'ai­ment" - at­tri­bué aux pre­miè­res com­mu­nau­tés chré­tien­nes - de­meu­re­ra jus­qu'à la fin, par­ti­cu­liè­re­ment quand il s'agit des prê­tres, un des le­viers les plus puis­sants pour l'évan­gé­li­sa­tion. Comme le re­com­mande l'Apô­tre : "Ayez beau­coup d'hu­mi­li­té, de dou­ceur et de pa­tience, sup­por­tez-vous les uns les au­tres avec amour. Ayez à coeur de gar­der l'uni­té dans l'Es­prit par le lien de la paix." (Eph 4, 2-3).

Un pres­by­te­rium re­flet de l'uni­ver­sa­li­té de l'Eglise

D'au­tant que les pres­by­te­riums de France sont de­ve­nus le re­flet de l'Eglise uni­ver­selle. No­tre dio­cèse n'échappe pas à ce cons­tat : des prê­tres ve­nus d'Afri­que, du Viet­nam, du Pa­kis­tan, du Ca­na­da ou d'Océa­nie, sont pré­sents par­mi nous, Nous fai­sons l'ex­pé­rience de l'uni­ver­sa­li­té de l'Eglise à l'in­té­rieur d'un même pres­by­te­rium. Il faut se com­pren­dre, ac­cueillir des cul­tu­res dif­fé­ren­tes et c'est peut-être en obéis­sant au même ap­pel du Sei­gneur : trans­met­tre la Bonne Nou­velle, que nous pou­vons le mieux for­ti­fier la com­mu­nion fra­ter­nelle, de la même fa­çon que, quand on ca­té­chise les au­tres, on se ca­té­chise aus­si soi-même. S'évan­gé­li­ser les uns par le au­tres, sup­pose que l'on soit prêt à ac­cueillir quel­que chose de l'au­tre, à por­ter sur lui un re­gard de bien­veillance, en même temps qu'une re­cher­che com­mune de la vé­ri­té, une exi­gence de clar­té dans la re­la­tion, un re­fus des ru­meurs, une mise à dis­tance des cri­ti­ques sté­ri­les.

Quand Jean-Ma­rie Vian­ney di­sait que "le prê­tre n'est pas pour lui, il est pour les au­tres", nous ne pou­vons pas ou­blier de faire en­trer par­mi ces "au­tres", tous le frè­res d'un même pres­by­te­rium. A eux aus­si, le Sei­gneur nous en­voie. Nous avons à nous évan­gé­li­ser les uns par les au­tres.

"Ad­mi­nis­tra­teur" ou "Evan­gé­li­sa­teur" ?

L'évan­gé­li­sa­tion - quoi qu'il en soit ! - obli­ge­ra tou­jours à sor­tir de soi-même. Il ne s'agit pas d'abord d'ajou­ter au tra­vail or­di­naire des tâ­ches nou­vel­les. Il faut plu­tôt se si­tuer dif­fé­rem­ment au sein de ce que nous fai­sons quo­ti­dien­ne­ment.

Nous le sa­vons tous, on peut ac­com­plir son mi­nis­tère d'une fa­çon qua­si "ad­mi­nis­tra­tive", c'est-à-dire en s'ap­pli­quant à ré­pon­dre, avec con­science, aux im­pé­ra­tifs des struc­tu­res pa­rois­sia­les et des de­man­des qui nous sont adres­sées. Le "fonc­tion­ne­ment" est alors as­su­ré et la pa­roisse "tourne" bien !

Par­ler d'évan­gé­li­sa­tion sem­ble­rait vou­loir dire que l'on doit ajou­ter d'au­tres ac­ti­vi­tés à cel­les qui sont déjà as­su­rées. Alors qu'il s'agit plu­tôt de "re­gar­der" au­tre­ment ce que nous fai­sons dans l'or­di­naire du mi­nis­tère pour don­ner aux ac­ti­vi­tés ha­bi­tuel­les une im­pul­sion évan­gé­li­sa­trice. Mais, bien en­ten­du, il faut aus­si se de­man­der s'il n'est pas né­ces­saire de sor­tir des cir­cuits ha­bi­tuels pour al­ler là où nous n'al­lons pas.

Evan­gé­li­ser : sor­tir de soi-même

Le car­di­nal Hum­mes, dans la let­tre que j'ai déjà ci­tée, écri­vait à pro­pos de la pa­ra­bole du se­meur : "Le se­meur est sor­ti pour se­mer. Il ne se li­mite pas à je­ter la se­mence par la fe­nê­tre, mais il sort de la mai­son. L'Eglise sait qu'elle ne peut res­ter inerte, ni se li­mi­ter à ac­cueillir et évan­gé­li­ser ceux qui la cher­chent, dans ses égli­ses et ses com­mu­nau­tés. Il faut se le­ver et al­ler là où ré­si­dent les per­son­nes et les fa­milles, là où el­les vi­vent et tra­vaillent."

Peut-être, en ef­fet, faut-il que nous ap­por­tions des ré­ajus­te­ments à no­tre mi­nis­tère ; que nous le re­gar­dions avec des yeux re­nou­ve­lés, mais tou­jours en nous main­te­nant près du Christ dont le coeur veut con­ti­nuer de bat­tre en nous. La ques­tion n'est pas su­per­flue : Vou­lons-nous être des prê­tres "évan­gé­li­sa­teurs" ou seu­le­ment "ad­mi­nis­tra­teurs" ?

Puis­que nous ap­par­te­nons au dio­cèse où a vécu saint Jean-Ma­rie Vian­ney, nous som­mes les pre­miers à re­cueillir de lui les fruits de son mi­nis­tère qui a été re­con­nu comme un "mo­dèle" par l'Eglise uni­ver­selle. C'est bien une oc­ca­sion qui s'of­fre à nous, puis­qu'il sera dé­cla­ré bien­tôt "pa­tron de tous les prê­tres du monde" !

+ Père Guy Ba­gnard, Évê­que de Bel­ley-Ars 

 

 

Portrait spirituel du Curé d'Ars

J'ai pen­sé qu'avec l'ou­ver­ture pro­chaine de l'an­née sa­cer­do­tale, à Rome, sous le pa­tro­nage du Curé d'Ars, nous pou­vions nous ar­rê­ter un ins­tant sur cette ma­gni­fi­que fi­gure de prê­tre ; elle nous parle à nous d'une ma­nière par­ti­cu­lière puis­que nous vi­vons dans le dio­cèse où il a ?u­vré. Nous som­mes dou­ble­ment ses frè­res....

Je vou­drais rap­pe­ler quel­ques traits de son por­trait spi­ri­tuel.

Il faut bien con­ve­nir qu'il est dif­fi­cile de sa­voir ce qu'a été sa vie in­té­rieure. Jean-Ma­rie Vian­ney n'a pres­que rien écrit : sauf quel­ques let­tres. des ser­mons, en par­tie re­co­piés de ser­mon­nai­res qu'il uti­li­sait, et des ca­té­chè­ses pri­ses au vol par ceux qui l'écou­taient. Il ne s'ex­pri­mait qua­si ja­mais sur lui-même, sur sa vie. On es­sayait bien par­fois de le faire par­ler, mais dès qu'il se voyait "ma­ni­pu­lé", il se re­ti­rait dis­crè­te­ment. Il y a donc peu de ma­té­riaux. Voi­ci com­ment Jeanne-Ma­rie Cha­nay ex­pli­que les ten­ta­ti­ves de lui dé­ro­ber quel­ques con­fi­den­ces :

"Par suite de cette sim­pli­ci­té et de cette naï­ve­té que j'ai si­gna­lées plus haut, il s'ou­bliait par­fois et se lais­sait al­ler à la con­ver­sa­tion. Dans ces bons mo­ments, nous usions d'une cer­taine in­dus­trie ; nous n'avions pas l'air de vou­loir ap­pren­dre ce que nous te­nions le plus à sa­voir ; nous fai­sions les in­dif­fé­ren­tes ; puis nous le met­tions sur la voie, nous le ques­tion­nions dou­ce­ment et lui ne se dou­tait de rien, nous ré­pon­dant comme un en­fant. S'aper­ce­vait-il de la sur­prise, il s'ar­rê­tait tout à coup et nous dé­fen­dait de rien ré­vé­ler de ce qui lui était ain­si échap­pé."

C'est, par exem­ple, tout à fait par ha­sard qu'on a dé­cou­vert l'en­droit où il dor­mait la nuit. Plu­sieurs pa­rois­siens étaient ve­nus un soir au pres­by­tère pour cas­ser des noix, une ac­ti­vi­té ha­bi­tuelle en hi­ver. Alors que la soi­rée s'achève, Jean-Ma­rie Vian­ney prend con­gé. Ceux qui sont là dé­cou­vrent alors, par le grin­ce­ment des es­ca­liers et les pas sur le plan­cher, que leur curé, au lieu de re­join­dre sa cham­bre, couche sur une paillasse dans le gre­nier !

C'est éga­le­ment tout à fait par ha­sard que les pa­rois­siens ont ap­pris cette nou­velle éton­nante. Alors que leur curé était là de­puis trois ans en­vi­ron, une pé­ti­tion cir­cu­lait dans le vil­lage pour de­man­der son dé­part. Elle avait re­cueilli déjà un cer­tain nom­bre de si­gna­tu­res et un pa­rois­sien bien in­ten­tion­né vient le pré­ve­nir en ca­chette pour lui dire qu'il fal­lait réa­gir. On con­naît la ré­ponse de Jean-Ma­rie Vian­ney : "N'en fai­tes rien, mon ami. J'ai moi-même si­gné la pé­ti­tion. Je ne suis pas un bon curé !" Sans ces cir­cons­tan­ces, tout à fait im­pré­vues, on n'au­rait ja­mais su ces dé­tails.

Mais s'il n'ai­mait pas par­ler de lui, il y a une au­tre rai­son, plus pro­fonde, qu'il a con­fiée un jour à Ca­the­rine Las­sa­gne, sa fi­dèle ser­vante : "Il ne faut ja­mais par­ler de ses souf­fran­ces ! - Mais, Mon­sieur le Curé, quand on a le coeur fa­ti­gué, c'est un sou­la­ge­ment de ver­ser ses pei­nes dans le coeur d'un ami. Il me ré­pon­dit : Oh non ! Il vaut mieux ne rien dire. Une fois, j'éprou­vais beau­coup d'en­nuis, des con­tra­dic­tions, j'étais très triste. J'ai vou­lu en faire part à quel­qu'un de bien pru­dent. Mais aus­si­tôt après, je me suis sen­ti le coeur tout sec de­vant le Bon Dieu." (P.O. p. 51).

Voi­là qui pointe dans une di­rec­tion in­at­ten­due la rai­son des si­len­ces de Jean-Ma­rie Vian­ney. In­at­ten­due, mais à la ré­flexion, com­bien pro­fonde ! Car la com­plai­sance à par­ler de soi tra­duit un mou­ve­ment de re­tour sur soi qui con­tre­dit ce­lui de la prière. La prière, en ef­fet, opère tou­jours un exode hors de soi, en di­rec­tion de Dieu.

L'ex­trême sen­si­bi­li­té spi­ri­tuelle du Curé d'Ars lui fai­sait res­sen­tir les ef­fets né­fas­tes de ce re­plie­ment dont il éprou­vait les ef­fets au mo­ment où il se tour­nait vers Dieu. D'au­tant que cher­cher un ré­con­fort au­près d'un pro­che, c'était met­tre sa con­fiance ailleurs qu'en Dieu. C'est dire que, chez lui, la vie avec Dieu rem­plis­sait tout le champ de son exis­tence. Elle ins­pi­rait et gui­dait ses moin­dres dé­mar­ches.

 

De cette spi­ri­tua­li­té, il est pos­si­ble de dé­ga­ger quel­ques traits mal­gré l'ex­trême dis­cré­tion dans la­quelle s'est tenu son au­teur. Dans ces con­di­tions, il est sans doute pré­ten­tieux de par­ler d'un "por­trait spi­ri­tuel du Curé d'Ars", mais il est au moins pos­si­ble de faire res­sor­tir quel­ques as­pects. A tra­vers cer­tai­nes pa­ro­les que l'his­toire a re­te­nues, je vou­drais évo­quer ici qua­tre as­pects de sa spi­ri­tua­li­té.

1°) "QUE C'EST PE­TIT !"

Ce sont les pre­miè­res pa­ro­les de Jean-Ma­rie Vian­ney quand il aper­çut de loin, pour la pre­mière fois, le vil­lage d'Ars. De fait, le vil­lage comp­tait un peu plus de 200 ha­bi­tants, quel­que 60 fa­milles ! Com­ment, pour un jeune prê­tre en pleine force de l'âge, ne pas pen­ser qu'il va s'en­nuyer dans un lieu aus­si "dé­sert" ? A quoi va-t-il oc­cu­per son temps ? Quel in­té­rêt trou­ve­ra-t-il à se met­tre au ser­vice de ces quel­ques fa­milles de pay­sans ? Ce n'est cer­tai­ne­ment pas le ca­té­chisme et les sa­cre­ments qui vont l'ac­ca­pa­rer. Ce genre de rai­son­ne­ment ne va même pas ef­fleu­rer ce­lui qui ar­rive. Au con­traire, il va se met­tre au tra­vail - car il va trou­ver du tra­vail - et plus qu'il ne pour­ra en faire !

Jean-Ma­rie Vian­ney nous ap­prend au moins cette chose toute sim­ple : c'est la fa­çon dont on re­garde au­tour de soi qui dé­ter­mine no­tre con­duite et qui élar­git - ou au con­traire ré­tré­cit - le champ de no­tre ac­tion ! D'em­blée, Jean-Ma­rie Vian­ney se sait char­gé de tou­tes les per­son­nes du vil­lage. Il n'au­ra de cesse que tou­tes de­vien­nent vrai­ment chré­tien­nes. Il n'en res­te­rait qu'une seule, qu'il se­rait in­sa­tis­fait. D'où son an­goisse de curé : "Etre prê­tre, c'est une joie. Etre curé, c'est une épreuve !" On re­joint la pers­pec­tive du Sy­node sur l'Eu­rope : "Le défi n'est pas tant de bap­ti­ser les nou­veaux con­ver­tis que de con­duire les bap­ti­sés à se con­ver­tir au Christ et à son Evan­gile." (EIE n. 47). Con­ver­tir les bap­ti­sés ! En cons­ta­tant la pe­ti­tesse du vil­lage, Jean-Ma­rie Vian­ney n'ex­prime pas son dé­dain pour ceux qui vi­vent là ! C'est la sur­prise de ce­lui qui dé­cou­vre un lieu in­con­nu.

Mais déjà, il aime ceux qu'il ne con­naît pas en­core ! Le geste qui le mon­tre, c'est le bai­ser qu'il donne à la terre sur la­quelle il s'age­nouille : geste re­pris par Jean-Paul II quand lui-même est ar­ri­vé, comme vi­caire, dans sa pre­mière pa­roisse : "Lors­que j'ar­ri­vai en­fin sur le ter­ri­toire de la pa­roisse de Nie­go­wicz, je m'age­nouillai et je bai­sai la terre; J'avais ap­pris ce geste chez Jean-Ma­rie Vian­ney. Dans l'église, je m'ar­rê­tai de­vant le Saint-Sa­cre­ment, puis je me présen­tai au curé" (Ma vo­ca­tion, p. 76).

Jean-Paul II a donc re­fait la même dé­mar­che que Jean-Ma­rie Vian­ney, à la dif­fé­rence que ce­lui-ci est curé - ou l'équi­va­lent - quand il ar­rive à Ars. Il re­çoit sa pa­roisse des mains de Dieu et c'est pour­quoi il va pas­ser des heu­res et des heu­res à sup­plier : "Mon Dieu, con­ver­tis­sez ma pa­roisse !" Lui, comme pas­teur, va tra­vailler à ré­unir les con­di­tions de la con­ver­sion des coeurs. Mais c'est Dieu qui con­ver­tit. Quand on est ha­bi­té en pro­fon­deur par cette con­vic­tion, on est for­cé­ment con­duit à pas­ser de longs mo­ments en prière ! L'ac­tion, bien sûr, mais avec la prière comme fon­de­ment du mi­nis­tère !

2°) "DIEU POUR DIEU !"

Jean-Ma­rie Vian­ney avait une grande con­nais­sance de la vie in­té­rieure, parce que lui-même vi­vait de l'in­té­rieur. Il a par­fois énon­cé dans ses ca­té­chè­ses, dans ses ren­con­tres ou dans ses ho­mé­lies, des ju­ge­ments qui sont comme des lois de la vie spi­ri­tuelle. Il avait dit, par exem­ple, un jour dans une ho­mé­lie : "Quand on n'a pas de con­so­la­tion, on sert Dieu pour Dieu ; quand on en a, on est ex­po­sé à le ser­vir pour soi-même."

Cette loi de la vie spi­ri­tuelle se re­trouve chez qua­si­ment tous les saints? On la ren­con­tre aus­si dans la vie de Mère Te­re­sa. Ses let­tres mon­trent à quel point elle avait souf­fert du si­lence de Dieu. Une nuit de la foi... qui a duré 50 ans. "Pour moi, le vide et le si­lence sont si grands que, quand je re­garde, je ne vois pas, quand j'écoute, je n'en­tends pas." "Mon coeur est vide. La sainte Com­mu­nion... tou­tes les cho­ses sain­tes de la vie spi­ri­tuelle - de la vie du Christ en moi - sont tou­tes si vi­des, si froi­des, si in­dé­si­ra­bles... Et pour­tant, cette ter­ri­ble dou­leur ne m'a ja­mais fait dé­si­rer qu'il en soit au­tre­ment. Au con­traire, je veux qu'il en soit ain­si aus­si long­temps qu'il le vou­dra." (pp. 268-269).

Jean-Ma­rie Vian­ney, de son côté, di­sait : "Si le Bon, Dieu me fait des grâ­ces, il per­met aus­si que j'ai bien des ten­ta­tions. Tan­tôt, je suis dans le cha­grin, tan­tôt le dé­goût de la prière m'ac­ca­ble." On est stu­pé­fait d'en­ten­dre ces pa­ro­les sur les lè­vres de quel­qu'un qui avait une telle foi et qui a tant prié ! Mais Jean-Ma­rie Vian­ney voit dans le si­lence de Dieu une pu­ri­fi­ca­tion in­té­rieure. On va alors "à Dieu pour Dieu" et non pas pour soi-même, pour ce que l'on res­sent, pour ce que l'on y trouve d'ac­cor­dé à no­tre sen­si­bi­li­té. "Dieu pour Dieu", parce qu'il est Dieu, in­dé­pen­dam­ment de nos im­pres­sions, de no­tre res­sen­ti, de nos émo­tions !

Nous pou­vons nous in­ter­ro­ger sur la place de la prière de louange que l'on adresse à Dieu gra­tui­te­ment, pour sa gloire, pour ce qu'il est ! C'est ain­si que nous pou­vons vé­ri­fier no­tre droi­ture d'in­ten­tion quand nous en­trons dans la prière.

3°) "L'AMOUR DES CROIX"

C'est peut-être un des as­pects les plus sur­pre­nants de la spi­ri­tua­li­té de saint Jean-Ma­rie Vian­ney. A bien des re­pri­ses, il en a par­lé, ne crai­gnant pas de faire ap­pel à sa pro­pre vie, pour une fois : "Il faut de­man­der l'amour des croix : alors el­les de­vien­nent dou­ces. J'en ai fait l'ex­pé­rience ; pen­dant qua­tre-cinq ans, j'ai été ca­lom­nié, bien con­tre­dit, bien bous­cu­lé, Oh ! j'avais des croix ! J'en avais pres­que plus que je ne pou­vais en por­ter. Alors, je me suis mis à de­man­der l'amour des croix... alors je fus heu­reux. Je le dis vrai­ment : il n'y a de bon­heur que là..." (No­det, p. 184).

On re­mar­que qu'il ne s'agit pas de l'amour de "la" croix, c'est-à- dire de quel­que chose de très gé­né­ral, de théo­ri­que, sans doute avec une di­men­sion spi­ri­tuelle, mais sans con­te­nu pré­cis. Il s'agit ici de l'amour "des" croix, c'est-à-dire des for­mes très con­crè­tes où la croix nous at­teint : telle épreuve dou­lou­reuse : la ca­lom­nie, les con­tra­dic­tions, l'in­com­pré­hen­sion, la ma­la­die...

Jean-Ma­rie Vian­ney est un pay­san qui a les pieds sur terre. C'est un con­tem­pla­tif qui n'a pas la tête dans les nua­ges. Il est réa­liste. Pour lui, ai­mer les croix, c'est ai­mer quel­que chose de très pré­cis qui fait mal ! Quand avec le se­cours de la grâce, on par­vient à ai­mer ce qui blesse, alors on as­siste à un re­tour­ne­ment ex­tra­or­di­naire.

L'ana­lyse de Jean-Marie Vian­ney se révèle pro­fon­dé­ment juste. Il le dit sous la forme d'ima­ges très sug­ges­ti­ves. "Les croix, trans­for­mées dans les flam­mes de l'amour, sont comme un fa­got d'épi­nes qu'on jette au feu et que le feu ré­duit en cen­dres. Les épi­nes sont du­res, mais les cen­dres sont dou­ces." "Les croix sont comme des épi­nes dont l'amour brûle la pointe et el­les de­vien­nent dou­ces comme la cen­dre." Et se­lon cette lo­gi­que, il pou­vait dire : "Lors­qu'on aime les croix, on n'en a ja­mais point. La plus grande des croix, c'est de n'en point avoir."

La croix est lé­gère quand elle est ac­cueillie et ai­mée ; elle écrase, au con­traire, quand elle est re­fu­sée. Le mys­ti­que est un réa­liste : quand on refuse, on se dé­truit, quand on ac­cueille, on se for­ti­fie en sur­mon­tant. L'ex­pé­rience vé­cue par In­grid Be­tan­court, pri­son­nière des For­ces ar­mées ré­vo­lu­tion­nai­res co­lom­bien­nes (FARC), en est un bel exem­ple : "Etre otage vous place dans une si­tua­tion de cons­tante hu­mi­lia­tion. Vous êtes vic­time de l'ar­bi­traire com­plet, vous con­nais­sez le plus vil de l'âme hu­maine. Face à cela, il y a deux che­mins. Soit on se laisse en­lai­dir, on de­vient ai­gre, har­gneux, vin­di­ca­tif, on laisse son coeur se rem­plir de ran­cune. Soit on choi­sit l'au­tre chemin, ce­lui que Jé­sus nous a mon­tré. Il nous de­mande : "Bé­nis ton en­ne­mi". A cha­que fois que je li­sais la Bi­ble, je sen­tais que ces mots s'adres­saient à moi, comme s'il était en face de moi, qu'il savait ce qu'il fal­lait me dire. Et cela m'ar­ri­vait droit au coeur. Bien sûr, je re­con­nais que lors­que l'en­ne­mi est atroce, c'est dif­fi­cile d'être fi­dèle à cette pa­role. Pour­tant, dès que je fai­sais l'exer­cice de pro­non­cer "Bé­nis ton en­ne­mi" - alors que j'avais en­vie de dire tout le con­traire - c'était ma­gi­que ; il y avait comme une es­pèce de sou­la­ge­ment. Et l'hor­reur dis­pa­rais­sait tout sim­ple­ment."

L'amour des croix ap­prend à gran­dir "dans" et "par" la dou­leur. Bien des ma­ni­fes­ta­tions dé­pres­si­ves ont pour ori­gine le re­fus d'ac­cueillir la réa­li­té dans les for­mes où elle nous blesse. Se rai­dir, c'est sou­vent se con­dam­ner à être bri­sé par l'épreuve, ou à s'ef­fon­drer de­vant ce qui, de toute fa­çon, s'im­pose ! La croix du Christ nous donne le se­cret : l'épreuve, au lieu d'abat­tre, peut faire gran­dir !

4°) "L'ES­PE­RANCE"'

Là où dans la vie du prê­tre Jean-Ma­rie Vian­ney se vé­ri­fie avec une in­ten­si­té par­ti­cu­lière cette vic­toire dans les épreu­ves, cet amour qui triom­phe par les croix, c'est dans ce qu'il dit de l'es­pé­rance, une es­pé­rance fon­dée sur la puis­sance de la cha­ri­té di­vine, car "l'Amour ne dis­pa­raî­tra ja­mais" (1 Co 13,8). Bien loin d'avoir une vi­sion pes­si­miste sur le coeur de l'homme - lui qui a en­ten­du pour­tant des cen­tai­nes de mil­liers de con­fes­sions, qui a été le té­moin de tant de mi­sè­res, de tant de fai­bles­ses hu­mai­nes - il n'en­tre­voit pas un ave­nir fer­mé à la vie chré­tienne - il a au con­traire ces pa­ro­les pro­phé­ti­ques : "Il vien­dra un temps où les hom­mes se­ront si fa­ti­gués des hom­mes qu'on ne pour­ra plus leur par­ler de Dieu sans qu'ils se met­tent à pleu­rer." Mal­gré la mul­ti­tude des pé­chés, l'ave­nir en­tre­vu par Jean-Ma­rie Vian­ney est un ave­nir où l'homme sera plei­ne­ment heu­reux d'ac­cueillir Dieu en lui.

C'est pour­quoi il voit dans l'in­sou­ciance, une des for­mes de ma­la­die qui peut ga­gner le prê­tre. "Ce qui est un grand mal­heur pour nous au­tres cu­rés, c'est que l'âme s'en­gour­dit. Au com­men­ce­ment, on était tou­ché de l'état de ceux qui n'ai­maient pas Dieu. Après on dit : en voi­là qui font bien leur de­voir, tant mieux ! En voi­ci qui s'éloi­gnent des sa­cre­ments, tant pis ! Et l'on n'en fait ni plus ni moins !" Pour Jean-Ma­rie Vian­ney, pren­dre son par­ti d'un état de fait, c'est le si­gne d'une pa­ra­ly­sie spi­ri­tuelle, le si­gne que l'âme se laisse ga­gner par la tié­deur, faute de croire en la puis­sance de la grâce ! C'est une ma­la­die qui me­nace tous les pas­teurs.

Pour­tant, au-delà de ces ris­ques que si­gnale Jean-Ma­rie Vian­ney, on ne peut pas ou­blier l'élan ma­jeur qui a ins­pi­ré sa vie et qui porte au-delà de l'exis­tence ter­res­tre et du cours de l'his­toire hu­maine ; cet élan qui le porte au-delà de mort, jus­que dans la vie éter­nelle. Mais il l'énonce dans une ré­flexion as­sez sur­pre­nante par son au­dace et par son étran­ge­té : "Si à ma mort, je m'aper­ce­vais que Dieu n'est pas, je se­rais bien at­tra­pé, mais je ne re­gret­te­rais pas d'avoir cru à l'amour." Il di­sait en­core :"Je me re­po­se­rai en pa­ra­dis. Je se­rais bien à plain­dre s'il n'y avait pas de pa­ra­dis. Mais il y a tant de bon­heur à ai­mer Dieu dans cette vie que cela suf­fi­rait, lors même qu'il n'y au­rait pas de pa­ra­dis dans l'au­tre vie." (No­det, p. 94).

L'une des ima­ges qui ex­prime le mieux cet élan de foi et d'amour plein d'es­pé­rance, c'est sans doute la sta­tue de Ca­bu­chet. Le re­gard in­tense de Jean-Ma­rie Vian­ney fixe in­ten­sé­ment quel­que chose que le spec­ta­teur ne voit pas, mais que lui voit, tel­le­ment son vi­sage est con­cen­tré. Nous pen­sons à la Let­tre aux Hé­breux par­lant de Moïse con­dui­sant le peu­ple d'Is­raël vers la Terre Pro­mise au milieu des dif­fi­cul­tés et des ré­vol­tes : "Comme s'il voyait l'in­vi­si­ble, il tint ferme." (He 11, 27). Jean-Ma­rie Vian­ney est pas­sé par­mi nous comme un té­moin de l'In­vi­si­ble.

Toute vie de saint dif­fuse un souf­fle de re­nou­veau. Celle de Jean-Ma­rie Vian­ney n'échappe pas à cette loi. Dans un homme qui était pau­vre, sans cul­ture, avec les li­mi­tes que l'his­toire nous rap­porte, la grâce a agi. "La force de Dieu triom­phe dans la fai­blesse." Qui au­rait pu ima­gi­ner que ce prê­tre au­rait été pro­cla­mé un jour "pa­tron de tous les cu­rés de l'uni­vers", et bien­tôt, "pa­tron de tous les prê­tres du monde" ?

Les saints, en s'ap­pro­chant de Dieu, de­vien­nent comme LUI ; ils de­vien­nent "dé­con­cer­tants", in­at­ten­dus. Ils échap­pent aux pro­nos­tics du bon sens ! Et c'est pour­quoi, dans les for­mes d'épreuve qui sont les nô­tres au­jourd'hui - avec l'im­pres­sion de nous trou­ver par­fois dans des im­pas­ses - leur vie nous re­donne de l'élan et nous con­firme dans no­tre mi­nis­tère. Ils nous ou­vrent l'ave­nir ! La vie de Jean-Ma­rie Vian­ney re­nou­velle no­tre es­pé­rance ! Nous la re­cueillons comme une "le­çon de cho­ses" qui nous in­vite à ne ja­mais dés­es­pé­rer, même quand nous ne per­ce­vons pas d'is­sue dans nos si­tua­tions im­mé­dia­tes.

Comme on le dit d'une ma­nière un peu sim­ple et po­pu­laire, mais qui con­tient une pro­fonde vé­ri­té : pour les saints, "il n'y a pas de pro­blè­mes, parce qu'ils vi­vent dans les so­lu­tions."

+ Père Guy Ba­gnard, Evê­que de Bel­ley-Ars