2010-05-08 - Homélie : Journée provinciale pour les vocations — Diocèse de Belley-Ars

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Navigation

Par téléphone : 04 74 32 86 32

Actes de catholicité (mariage, baptême, etc.) : 04 74 32 86 53

Dons, offrande de Messe, reçu fiscal : 04 74 32 86 33

Horaire de Messe : 04 74 32 86 56

Contacter votre paroisse

Autre demande : 04 74 32 86 40

Par mail : Formulaire de contact

2010-05-08 - Homélie : Journée provinciale pour les vocations

Homélie prononcée lors de la messe du 8 mai à Ars, pour la journée provinciale des vocations, devant 10 000 pèlerins.


Ce passage d'Evangile, Frères et Soeurs, dont la liturgie prévoit la lecture le jour de la fête de saint Jean-Marie Vianney, dispose notre soeur à la joie. Car ce que le Seigneur demande à ses disciples, nous sommes justement en train de l'accomplir : "Mais priez donc le Maître de la moisson..."

Pour un disciple, la source de sa joie, c'est de faire ce que son Maître demande ! Et nous l'accomplissons à la dimension de 11 diocèses. C'est donc un acte ecclésial plus large que nos individualités, qui nous rappelle la parole de Jésus "Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux."

Nous sommes aujourd'hui des milliers pour porter la même prière. Voilà qui intensifie la présence du Seigneur parmi nous. Il fera produire en son temps les fruits liés à cette démarche que nous accomplissons en pèlerins dans la foi.

Pèlerins, oui, nous le sommes tous aujourd'hui ! Nous nous sommes donnés rendez-vous sur les lieux où a vécu un prêtre dont la renommée de sainteté s'est répandue partout dans le monde. Voilà qui infléchit notre prière dans une direction bien précise ! Non seulement nous demandons que soit multiplié le nombre des ouvriers à la moisson, mais encore qu'ils soient "saints", à l'image de saint Jean-Marie Vianney. Est-ce que nous nous rendons compte qu'en suppliant ainsi le Seigneur de nous donner des prêtres "saints", nous nous exposons nous-mêmes à des risques, celui en particulier de soumettre notre vie à une exigence chrétienne plus profonde ! Car des prêtres "saints" ne laissent jamais les chrétiens s'assoupir et couler des jours tranquilles !

C'est cette expérience qu'ont fait les gens d'Ars lorsque Jean-Marie Vianney est arrivé chez eux ! Quand il est monté en chaire et a commencé de parler, l'assemblée s'est mise à gémir ! C'est que ce nouveau curé n'avait pas une spiritualité "céleste". Elle prenait corps dans ce qu'il y a de plus concret, de plus terrestre : il parlait de la danse, des cabarets, des violences qu'entraînaient les excès de boisson, des divisions au sein des familles, du repos du dimanche, de l'exploitation des ouvriers agricoles, du manque d'instruction des enfants ! Et beaucoup de gens s'interrogeaient : "Mais où veut donc nous entraîner ce curé original ?"

Au moins au début, bien des chaises à l'église se libérèrent de leurs occupants ! Ce qui montrait au moins qu'on n'avait pas dormi pendant le sermon. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, on ne pouvait pas prêcher moins de trois quarts d'heure ! Et Jean-Marie Vianney ne se gênait pas pour dire, avec son naturel d'enfant : "j'ai remarqué qu'il n'y a pas de moment où l'on ait plus envie de dormir que pendant les instructions." (Nodet p. 128) Les gens étaient fortement interpellés et, pardonnez-moi l'expression, ils se sentaient comme "cernés" ! Bref, ils n'étaient plus tout à fait tranquilles !

Qu'est-ce qui stoppa l'hémorragie ? Qu'est-ce qui retourna la situation ? Oh, un événement très simple, un événement si élémentaire qu'on ose à peine en parler, tellement il paraît dans le droit fil de l'ordre normal des choses : les gens se sont sentis aimés par leur curé ! Il venait les voir chez eux. Il s'intéressait aux travaux de la ferme. Il demandait des nouvelles des enfants, allait auprès des malades, s'informait de la dure vie des mères de famille. "C'était un vrai plaisir d'accueillir ses visites", dit un témoin ! Il leur semblait que rien de ce qui faisait leur vie n'était étranger à leur pasteur.

Mais, dans le même temps, lui le curé si proche, si simple, si attentionné, ne diminuait en rien ses propos ! Il continuait de faire descendre la lumière de l'Évangile dans le concret de l'existence quotidienne. Alors, les gens ont fait une expérience singulière. Ils ont perçu que, si leur curé les aimait, ce n'était pas pour les tourner vers lui, pour les attacher à sa propre personne, mais pour les orienter vers Dieu ! l'affection qu'il leur portait était un chemin qui débouchait sur Dieu. Il les aimait "en" Dieu !

Et de fait, dans ce village qui comptait 232 habitants, aucun n'ignorait les heures que passait le prêtre devant le tabernacle. Le matin de bonne heure, quand les paysans partaient dans les champs, ils voyaient la lueur de la chandelle du curé qui filtrait à travers les vitraux de l'église, et ils se disaient : "Le curé est déjà là !" Si bien que le bruit courait : "On a un curé qui vit à l"église !"

Jean-Marie Vianney avait bien retenu la leçon du Vicaire Général, Monsieur Courbon, qui en le nommant à Ars lui avait dit : "Il n'y a pas beaucoup d'amour de Dieu là-bas, vous en mettrez !" Mais avec sa grande finesse spirituelle et le haut sentiment de sa responsabilité, il pressentait que, pour mettre l'amour de Dieu, il fallait d'abord faire passer dans son soeur de pasteur l'amour de tous les habitants de sa paroisse pour ensuite les déposer dans le Coeur de Dieu. C'était le sens de ses longues prières à genoux devant le Saint-Sacrement : "Seigneur, convertissez ma paroisse et je consens à souffrir tout ce que vous voudrez." Il n'y pas de prière plus sacerdotale que celle-là !

La confiance des paroissiens, au lieu de s'atténuer, alla en grandissant. Il ne fallait plus dire du mal du curé. Lui qui avait été si calomnié les premières années, il était devenu "leur" curé. C'est si vrai qu'un paroissien bien habitué des lieux et connaisseur de l'histoire raconte : "On essaya en 1830 de rétablir la vogue et les danses, mais on y renonça en voyant le vif chagrin du curé... Quoi qu'il fût assez sévère, il sut tellement se faire aimer, qu'il obtenait tout ce qu'il désirait ; on aurait craint, en refusant de lui obéir, de le contrister et de le faire partir." (P.O. p. 160).

En somme, les paroissiens en étaient arrivés à préférer faire des efforts - parfois coûteux - pour accorder leur vie à l'esprit de l'Évangile, plutôt que de faire de la peine à celui qui les aimait à ce point ! Car, à travers la personne de leur curé, ils avaient le sentiment obscur de toucher quelque chose de la présence de Dieu.

C'est ce que Jean- Paul II avait exprimé quand il était venu ici en 1986. Dans son homélie de l'après midi du 6 octobre, il avait dit : "Le Christ s'est bien arrêté ici, à Ars, au temps où Jean-Marie Vianney y était curé ; oui, il s'est arrêté. Il a vu les foules des hommes et des femmes du siècle dernier qui étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger." (Mt 9, 36)

La vie de Jean-Marie Vianney illustre à un rare degré cette mission du prêtre qui est de représenter le Christ - de Le rendre présent non seulement dans la célébration des sacrements, mais aussi dans la manière de vivre son ministère, en accordant sa vie aux sacrements qu'il célèbre. Pendant 41 ans, les paroissiens d'Ars ont eu sous les yeux un prêtre dont les paroles et les actes étaient en harmonie profonde. Il faisait ce qu'il disait !

Sous l'effet de cet exemple vivant, ils se mirent à leur tour en chemin, chacun à son rythme et selon sa grâce ! Peut-être, chez certains, en faisant seulement quelques pas, mais tout le monde bougeait ! Puisque l'amour de Dieu commandait tout dans la vie de leur curé - c'était là une évidence pour toute le monde ! - ce même amour de Dieu passait insensiblement du soeur de leur curé dans le leur.

Et la conséquence était considérable. La vie chrétienne n'était plus regardée comme un ensemble de préceptes à observer, une série de devoirs auxquels il fallait se soumettre. C'était la découverte progressive de Quelqu'un dont on apprend à devenir l'Ami, cet Ami dont leur curé était justement si proche !

Quelle conclusion en tirer ?

C'est que l'élan profond de la vie chrétienne ne se puise pas dans le respect d'une morale, mais dans l'amour d'une Personne, celle-là même qui nous dit dans l'Évangile : "Je vous appelle mes amis ! " Le pape Jean-Paul II avait bien raison de dire que la religion chrétienne, c'est la religion dans laquelle on demeure dans le Coeur de Dieu, dans laquelle on participe à Sa vie intime ; et il citait saint Paul : "Dieu a envoyé dans nos soeurs l'Esprit de son Fils qui crie : "Abba : Père !" (Tertio millennio n. 8)

Le Curé d'Ars a donné une illustration saisissante des paroles de l'Évêque saint Augustin "Nous sommes vos pasteurs. Que le Seigneur nous donne la force de vous aimer au point de pouvoir mourir pour vous, mourir effectivement ou mourir par le soeur." (Pastores dabo vobis n. 26).

Jean-Marie Vianney est mort "par le coeur", épuisé par les pardons qu'il avait donnés inlassablement au nom de Dieu dans le Sacrement ! Trois jours avant de s'éteindre, il confessait encore ! Et il disait aux paroissiens ces mots surprenants : "On connaît les amis du Bon Dieu à ce qu'ils font ce qu'ils ne sont pas obligés de faire." Comment mieux dire, avec autant de simplicité, que la vie chrétienne est l'expression d'un Amour qui dépasse tous les articles d'un code moral !

A leur manière, les paroles de Jean-Marie Vianney ouvrent sur l'horizon sans limite des Béatitudes ; sur cette route, chacun peut avancer avec la certitude qu'il n'atteindra jamais le terme : "Bienheureux les doux, les miséricordieux ; bienheureux les pauvres de soeur, les soeurs purs ; bienheureux les affamés et assoiffés de justice, bienheureux les persécutés pour la justice."

Qui ne voit, frères et soeurs, la grâce inestimable d'un prêtre saint ! Il jette sur l'existence humaine la lumière de l'Évangile "avec un tel feu", qu'il met en mouvement ceux qui l'approchent. C'est ce qui s'est passé à Ars.

On sait combien Jean-Marie Vianney aimait parler du prêtre. Il a pour le dire des expressions qui se gravent dans la mémoire : "Le sacerdoce, c'est l'amour du soeur de Jésus". "Sans le prêtre, la mort et la Passion de Jésus ne serviraient de rien". Et puis encore, ces mots si abrupts, qu'on ose à peine les reprendre : "Après Dieu, le prêtre c'est tout !" Je les reprends pourtant, en les appuyant sur ceux d'une laïque du milieu du XXe siècle, missionnaire engagée dans la banlieue parisienne à Ivry, Madeleine Delbrêl : "L'absence d'un vrai prêtre est dans une vie, une détresse sans nom. Le plus grand cadeau qu'on puisse faire, la plus grande charité qu'on puisse apporter, c'est un prêtre qui soit un vrai prêtre, ; c'est l'approximation la plus grande qu'on puisse réaliser ici-bas de la présence visible du Christ... L'absence d'un vrai prêtre dans une vie, c'est une misère sans nom, c'est la seule misère".

On le sait bien, ce n'est pas le vase d'argile qui a de la valeur, mais la lumière qu'il porte. Pourtant, en cette année sacerdotale, osons demander que le vase devienne, lumineux lui-même, au contact de la Lumière qu'il porte, par la grâce de son sacerdoce, comme il en est allé pour Jean-Marie Vianney.

Et pour nous-mêmes, chrétiens, nous sommes appelés à montrer, en le vivant, que le christianisme est la religion de l'Amour.

+ Mgr Guy Bagnard
Évêque de Belley-Ars
8 mai 2010, ar