2009-11-06 - Témoignage : Demain, la vie de nos communautés chrétiennes
Préambule
L'actuel diocèse de Belley-Ars n'existe que depuis octobre 1822. Il correspond au Département de l'Ain. Situé entre Lyon, Genève et Mâcon, son territoire est assez disparate. Par rapport à l'ancien diocèse de Belley, il a été notablement agrandi. Il a repris à l'ancien diocèse de Genève, le Pays de Gex, à celui de Saint-Claude, le Haut-Bugey, à ceux de Lyon et de Mâcon, la Dombes et la Bresse. Du fait de ces changements, la ville cathédrale de Belley s'est trouvée très excentrée. C'est pourquoi, le 3 mai 1992, l'église Notre-Dame de Bourg-en-Bresse, a été érigée par Rome en co-cathédrale. Par ailleurs, le 4 août 1988, la dénomination du diocèse de Belley a été modifiée : il est devenu le diocèse de Belley-Ars.
Dans le dernier quart de siècle, la population des Pays de l'Ain, comme on dit, est passée de 420.000 à près de 600.000 habitants. Le Département est desservi par un ensemble autoroutier dense et un réseau ferroviaire qui mettent Bourg-en-Bresse à moins de deux heures de Paris, à une heure de Genève et à trois-quarts d'heure de Lyon. Une activité économique soutenue permet l'un des plus bas taux de chômage en France. La dominante rurale ne peut pas faire oublier les bassins industriels d'Oyonnax (surnommé la Plastiques-Vallée) et de la plaine de l'Ain. Avec plus de 20.000 PME, le tissu industriel couvre pratiquement tout le département. Le monde scientifique est bien représenté dans le Pays de Gex : le CERN, par exemple, a installé certains de ses équipements sur le département et une bonne partie du personnel des organisations internationales établies en Suisse réside dans l'Ain.
Une nouvelle configuration paroissiale
Aujourd'hui, le diocèse de Belley-Ars comporte 65 groupements paroissiaux. Nous avons cherché à faire travailler les chrétiens ensemble, sans toucher à l'identité ni à la dénomination des paroisses. On parle donc de groupements paroissiaux plutôt que de paroisses nouvelles. A vrai dire, il n'y a pas de paroisses nouvelles. Il n'y a pas non plus d'équipes d'animation pastorale mais des conseils pastoraux de paroisses et de secteur. Les Ordonnances qui les ont généralisés datent de septembre 1992 et, après 5 années d'expérience, elles ont été définitivement adoptées en 1997. Par ailleurs, le statut des laïcs en mission ecclésiale a été publié en avril 1999, avec la création d'une commission diocésaine de discernement. On en compte une cinquantaine.
La mission du prêtre dans ce nouveau contexte
Le regroupement de plusieurs paroisses en un même ensemble ecclésial est confié à la responsabilité d'un curé, assisté parfois d'un ou plusieurs prêtres, selon l'importance des territoires. Un des effets de l'élargissement de la responsabilité du prêtre, c'est d'éloigner sa présence de la population. Les contacts sont moins fréquents ; ils sont plus rapides, moins gratuits. Le prêtre est amené à rencontrer davantage des groupes que des personnes individuelles.
Cet état de fait a des conséquences particulièrement sensibles dans la pastorale ordinaire. Un seul exemple : au moment des inscriptions au catéchisme, l'envoi par La Poste de courriers rappelant la rentrée prochaine des catéchismes ou même les distributions toutes boîtes n'ont généralement pas beaucoup d'effet. Par contre, les rencontres personnelles ont un impact certain. Il en va de même dans toutes les autres démarches; celles des aumôneries scolaires ou des groupes de préparation à la confirmation ; pour les rencontres avec les jeunes couples qui ont célébré le sacrement de mariage une année auparavant et avec lesquels on reprend contact : rien ne remplace le lien personnel. Ce fait a déterminé, pour une part, l'orientation pastorale du diocèse à laquelle est liée l'avenir des communautés chrétiennes. Il s'agit d'épouser le mouvement de l'incarnation : "Dieu s'est approché"; il a aboli les distances.
Une démarche diocésaine d'évangélisation
Le prêtre disposant de peu de temps du fait de l'étendue de sa charge, les paroissiens apprennent à redécouvrir leur place dans la mission. C'est pourquoi, depuis trois ans, nous avons cherché à attirer l'attention sur cette dimension missionnaire de la vie chrétienne. Plusieurs raisons freinent ou font obstacle à cette audace évangélisatrice :
- la peur de se dire chrétien, l'amour propre, le respect humain, la peur de parler de sa foi, la crainte d'essuyer des refus, le désarroi de se trouve devant l'inconnu ;
- une certaine conception de la mission et de la liberté soulève aussi des interrogations : est-on suffisamment respectueux des personnes ? Ne cherche-t-on pas à influencer ? N'est-ce pas une manière subtile d'attenter à la liberté ? On connaît les critiques à l'endroit de tout prosélytisme et comment, dans le climat de la société d'aujourd'hui, la foi est appelée à se tenir dans les limites de la stricte vie privée. Par ailleurs, l'importance du témoignage silencieux semble l'emporter sur les paroles. L'Evangile ne donne-t-il pas la préférence aux actes ?
Il s'agit donc de faire entrer les chrétiens des paroisses dans une nouvelle perspective en leur rappelant que la mission est vraiment leur affaire ! Sans doute la paroisse n'est-elle pas le seul acteur, Mais beaucoup pensent encore que la mission reste réservée aux Mouvements et aujourd'hui, avec les évolutions, aux "Nouvelles Communautés". Un bon nombre de paroissiens estiment ne pas avoir d'initiatives à prendre en ce domaine, en dehors de leur implication pour entretenir les rouages de la paroisse. Dans ces conditions, la paroisse se présente forcément dans une position de repli : autrefois, il y avait un prêtre sur place, par la suite un prêtre à 10 kilomètres, puis maintenant un prêtre à 20 kilomètres, etc... Ce retrait progressif donne l'impression qu'il n'y a plus qu'une seule solution : attendre la fin ! On est sur la voie de la disparition ! Faisons en sorte que tout se passe bien ! D'où la nécessité de donner la priorité à l'évangélisation. C'est l'avenir qui est en jeu !
Nous avons donc fait le pari de lancer tout le diocèse dans cette dynamique avec la conscience que nous ne sommes pas plus "malins" que les autres. Cette charge a été confiée à un prêtre, nouvellement nommé Vicaire Général. Il avait comme première charge de constituer une équipe opérationnelle autour de lui : un groupe d'une douzaine de personnes qui se réunit régulièrement, tous les mois.
Parce qu'un diocèse est une institution lourde, lente à se mettre en mouvement, nous avons choisi de prendre le temps, donc d'étaler la mise en ?uvre du projet sur un minimum de cinq années. Pour cela, nous nous sommes inspirés de ce qui a été inauguré dans quelques grandes capitales européennes et en particulier à Paris, à la Toussaint 2004. Pourquoi ce choix ?
- Parce que l'on faisait fond sur les paroisses, sans bien entendu exclure les autres réalités ecclésiales. Mais la paroisse était le lieu prioritaire d'où devait surgir l'élan missionnaire.
- Parce que le principe adopté était la méthode inductive. C'est-à-dire que d'en haut ne viennent que des encouragements et aussi des moyens, mais c'est sur le terrain que se décident les initiatives et s'élaborent les projets. Les acteurs sont libres de déterminer leurs choix !
- Parce que l'une des préoccupations était de rendre la communauté chrétienne visible, particulièrement à travers le bâtiment de l'église. C'est sur les lieux de la vie ordinaire que le message doit être entendu et reçu !
- Parce que l'un des fruits de cet événement a été de montrer que la mission était possible. Les chrétiens ont vu, après coup, que l'on pouvait aujourd'hui encore évangéliser, alors qu'au début ils étaient plutôt incrédules.
Les principales étapes de cette démarche
- La première année a été une année de sensibilisation avec de multiples rencontres dans le diocèse pour réfléchir à ces trois questions : qu'est-ce qu'évangéliser ? Pourquoi évangéliser ? Comment évangéliser ? Nous avons invité le Père Jean-Yves Nahmias et le Père Thierry Magnin, pour aider à la réflexion.
- La deuxième année a été une année de préparation spirituelle. Pour nous aider à nous lancer dans l'aventure de l'évangélisation et à ne pas foncer tête baissée dans des initiatives, le livre des Actes de Apôtres a été choisi comme texte de base. Il a été remis solennellement au cours d'une célébration, le même dimanche, dans toutes les paroisses, à tous les paroissiens, avec la consigne d'en faire une lecture attentive. Des groupes de réflexion se sont constitués pour étudier ce livre à partir de fiches. Le slogan de l'année était "Passons aux Actes !"
En même temps, les mouvements, les services et les paroisses ont été invités à faire un travail de mémoire pour se rappeler les initiatives missionnaires dont ils avaient été témoins, acteurs ou bénéficiaires. Etre fidèle au passé, c'est avoir l'audace dans le présent de lancer des initiatives qui construiront l'avenir. L'audace n'élimine pas l'humilité : la mission ne commence pas avec nous. Cest une des raisons pour lesquelles nous sommes restés très discrets vis à vis des médias.
Parallèlement, nous avons lancé le parcours d'une croix de l'évangélisation qui a été reçue solennellement à la Pentecôte 2008, en présence d'un millier de chrétiens venus de toutes les régions du diocèse. Depuis, elle circule d'une paroisse à l'autre ; chaque groupement paroissial la reçoit, au moins pendant une semaine. Elle a parcouru, l'année dernière, une bonne trentaine de lieux. Elle poursuit aujourd'hui son itinéraire. Au terme, elle sera placée dans la cathédrale. - La troisième année a été une année de mise en route d'initiatives nouvelles, modestes mais bien réelles, pour aller au devant de ceux dont nous sommes loin. Elle a été marquée par l'organisation d'un "forum de l'évangélisation", fréquenté par 700 personnes environ. Ce forum a été un temps fort de la vie en Eglise. L'objectif était tout simple : partager entre nous tout ce que nous avons déjà essayé de réaliser pour aller un peu plus au devant de ceux que nous rencontrons peu ou mal, ou même plus du tout, ou que nous n'avons jamais rencontrés. Le slogan de cette année était :"Il suffit d'une foi ! ".
- La quatrième année (2009-2010) devrait nous permettre de continuer les projets déjà initiés et d'oser aller plus loin. Le forum a donné des idées, certains avaient commencé à oser, d'autres restent encore sur l'expectative. Cette quatrième année nous invite à oser lancer au moins un projet d'évangélisation dans chaque groupement paroissial, un projet qui ne cherche pas à faire vivre ce qui existe déjà ou à mieux rencontrer ceux que nous rencontrons déjà, mais un projet qui fait sortir des espaces habituels.
Le point fort de cette quatrième année sera la "Quinzaine de la mission" du 8 au 24 mai. Elle sera lancée à Ars, le 8 mai 2010, à l'occasion du pèlerinage provincial pour les vocations. Dans chaque groupement paroissial - les mouvements ou services et les communautés nouvelles peuvent eux aussi, bien sûr, élaborer un projet - on cherchera à organiser un temps fort qui permettra de sortir, d'aller à la rencontre de ceux dont nous sommes habituellement trop loin. C'est ainsi que nous espérons voir fleurir au moins autant de projets qu'il y a de groupements paroissiaux. L'un des plus originaux - organisé à l'échelon du diocèse - sera la marche avec une roulotte, tirée par un vrai cheval, qui conduira l'équipe d'évangélisation depuis Ars jusqu'à Belley en sillonnant une bonne partie du diocèse. L'audace et l'imagination sont les maîtres mots ; d'où le slogan de cette quatrième année : "N'ayez pas peur ! "
Durant cette année pastorale, qui coïncide avec l'année sacerdotale, un "triptyque" - avec des fiches de prières et de chants - est confié à chaque paroisse. Il doit circuler dans les familles afin de réapprendre la prière en famille, avec une intention particulière pour les prêtres et pour les vocations sacerdotales. Naturellement, la présence d'Ars dans le diocèse facilite, pour une part, l'impulsion.
Les communautés religieuses - les contemplatifs en particulier - sont associés à la démarche, ainsi que les personnes âgées et les malades. - Le programme de la cinquième année est encore à réfléchir. Il y aura un rassemblement diocésain au cours duquel nous aimerions donner une place à tous les "Recommençants" et les envoyer en mission. L'intention est simple : "Vous avez eu la joie de recommencer un chemin de foi grâce à une personne qui vous a invité à participer à telle manifestation, ou qui vous a accueilli à l'occasion de tel événement important de votre vie... "Eh bien ! vous aussi, allez et faites de même !" Les recommençants, les confirmés adultes, sont un stimulant pour tous les autres.
Quelques éléments marquants
Sur cet arrière-plan, plusieurs faits marquants ressortent avec netteté.
1. La "première annonce" tient forcément une place non négligeable, non parce qu'elle suffise à tout ou qu'elle recouvre toutes les formes de la mission. Mais elle rappelle aux chrétiens que le témoignage missionnaire comporte toujours un aspect kérygmatique, c'est-à-dire quelque chose d'inattendu, qui peut être même parfois brutal. La surprise du message, sa nouveauté, sa verticalité, sa simplicité, ne peuvent jamais être gommées a priori. Le missionnaire se trouve alors forcément exposé, car le kérygme n'est jamais une information qui n'engage à rien. Il ne laisse en repos ni celui qui écoute ni celui qui témoigne. Les Actes des Apôtres fournissent de nombreux exemples de cette vérité. On ne sait jamais à l'avance ce que produira dans les coeurs la parole de l'Evangile (cf. l'enfant du catéchisme).
2. Parce qu'elle engage le missionnaire à témoigner de sa foi, on constate que l'action missionnaire fortifie la foi de celui qui témoigne. "On se catéchise en catéchisant". Dans certaines paroisses, on voit des chrétiens qui sortent de leur torpeur, simplement parce qu'ils ont osé aller au devant, même quand il s'agit de démarches modestes. Quelque chose bouge en eux.
3. Quand l'évangélisation prend place dans la vie du chrétien, le besoin de se recentrer sur l'essentiel se fait davantage sentir. Entre autre, on voit mieux, par exemple, combien l'Eucharistie est une nourriture qui donne force et élan ; une des paroisses du diocèse a inauguré depuis deux ans l'adoration perpétuelle, avec 220 engagés. En revenant à l'essentiel, les querelles internes font apparaître leur caractère dérisoire ; les incompréhensions sont relativisées. Je suis témoin que, dans les paroisses où s'est organisée l'adoration, l'unité grandit au sein de la communauté ! les chrétiens sont davantage soudés et plus désireux de prendre leur place dans la mission. On peut vérifier ce que Jean-Paul II écrivait dans "Novo Millennio" (n. 29) : « Ce n'est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu'elle nous inspire : "Je suis avec vous".»
4. De même, les chrétiens commencent à mieux accepter le fait que le propre de la mission est d'offrir une message que l'on n'entend pas en d'autres lieux. C'est sa spécificité qui justifie la mission. En effet, à quoi bon redire ce que tout le monde dit ! "Nos contemporains, quand ils nous rencontrent, disait naguère Benoît XVI aux évêques du Brésil, veulent voir ce qu'ils ne voient nulle part ailleurs". L'étrangeté d'une parole qui vient d'ailleurs commence à être mieux accueillie chez ceux qui acceptent d'être évangélisateurs. On se sent davantage prêt à assumer la différence chrétienne et à l'exprimer !
5. Quand on parle de la paroisse, on évoque forcément la personne du prêtre. Comme ailleurs, notre diocèse souffre de leur trop petit nombre. Depuis une vingtaine d 'années, on compte en moyenne trois ordinations par an. Mais, dans le même temps, chaque année, entre 7 et 8 prêtres disparaissent. A la longue, on finit par considérer cette situation comme inévitable, donc comme normale. Les paroles du Curé d'Ars avertissent le prêtre du danger qui les guette tous : celui de se laisser gagner par l'indifférence : "Ce qui est un grand malheur pour nous autres curés, c'est que l'âme s'engourdit. Au commencement, on était touché de l'état de ceux qui n'aimaient pas le Bon Dieu. Après, on dit : en voilà qui font bien leur devoir, tant mieux ! En voici qui s'éloignent des sacrements, tant pis ! Et l'on n'en fait ni plus ni moins !"
Si bien que le fait d'engager, à l'échelon diocésain, une initiative d'évangélisation amène le prêtre à relire son ministère. Au premier abord, l'annonce de cette initiative était plutôt perçue comme un "ajout" supplémentaire au travail quotidien. Donc, une activité de plus ! Où la caser dans le programme ? Or la mission en elle-même ne réclame pas de "faire plus", mais de faire autrement. Elle renouvelle la vision, elle modifie l'état d'esprit. Elle aide à passer d'une "fonction" à une "donation de soi." Ce qui implique une marche vers l'intériorité jusqu'à mieux faire apparaître la raison d'être, la signification de la présence du prêtre dans la communauté. Le rapport prêtre-laïcs s'en trouve mieux équilibré.
L'appel missionnaire donne à la vie du prêtre une dimension d'authenticité et de vérité. Les laïcs - ceux qui parmi eux ont saisi les enjeux - contribuent fortement au renouvellement du prêtre en élaborant avec lui les projets susceptibles d'être menés à bien dans la paroisse, en lien avec le reste du diocèse. Ces trois années ont permis de percevoir l'intérêt qu'il y avait autrefois dans l'organisation des missions paroissiales. Jean-Marie Vianney en a été un fervent promoteur à travers les sommes considérables qu'il a données pour leur réalisation dans bien des diocèses de France.
Nous remarquons le bienfait qui découle de ce que l'appel missionnaire soit lancé par le diocèse lui-même et à tout le diocèse ! La mission unifie les paroisses entre elles et elle fortifie la fraternité entre prêtres. Les chrétiens découvrent que l'on a besoin d'eux, qu'ils ont une place à tenir autrement qu'en participant au Denier de l'Eglise. Certains retrouvent la fierté d'être chrétiens ! Peut-être aussi se sentent-ils moins seuls !
En définitive, si l'on veut sauver la paroisse, il faut la rendre missionnaire. L'avenir des communautés chrétiennes - leur salut - est bien dans l'évangélisation !
+ Père Guy Bagnard
Évêque de Belley-Ars