2010-06-27 - Homélie pour les ordinations
L'Evangile nous rappelle la manière dont Jésus a constitué le collège des Apôtres. Il a retenu pour cela deux verbes : "choisir" et "instituer". L'action de choisir nous est familière parce que nous comprenons immédiatement que, pour mener à bien un travail, il faut repérer les ouvriers qui peuvent l'accomplir. Rien de plus évident ! Si le Seigneur a ainsi choisi les Douze, c'est donc qu'il avait du travail à leur confier. Alors arrive le second verbe : instituer. Il ne fait pas double emploi avec le premier ! Il dit plus que lui car "instituer", c'est placer quelqu'un dans une charge et surtout "lui donner les moyens de l'accomplir".
Aussi, quand le Seigneur dit, dans ce passage d'Evangile : "C'est moi qui vous ai choisis, qui vous ai institués pour que vous alliez, que vous donniez fruit et que votre fruit demeure", il veut dire qu'il leur donne de quoi réaliser la tâche à laquelle il les appelle. Jésus ne les invite donc pas à se débrouiller tout seuls, à s'arranger comme ils le pourront avec leur intelligence et leur force, après leur avoir tracé le travail. Il leur dit au contraire : " Je suis avec vous jusqu'à la fin des temps". Cette présence qui leur est assurée se trouve justement indiquée dans la manière dont Jésus les envoie en mission, en prenant soin de les instituer après les avoir choisis.
Celui qui est institué entre dans la stabilité d'une présence, grâce à laquelle il va assurer la charge qui lui est confiée. C'est à quoi répond ce que nous appelons "le sacrement de l'Ordre". L'Ordre - comme son nom l'indique - renvoie à un "ordre" - à un rang - à une succession. Il indique la réalité d'une présence qui se transmet d'âge en âge, à partir d'une origine, et qui permet à cette origine de demeurer active à travers l'espace et le temps, grâce aux ouvriers qui ont été choisis et institués, après qu'ils aient donné un "oui" libre et joyeux.
Le sacerdoce n'est pas domination mais service
L'ordination est le moment où s'accomplit cette institution. Voici ce qu'en dit le Catéchisme : "L'ordination désigne l'acte sacramentel qui intègre dans l'ordre des évêques, des prêtres et des diacres et qui va au-delà d'une simple élection, désignation, délégation par la communauté, car elle confère un don du Saint-Esprit, permettant d'exercer "un pouvoir sacré" qui ne peut venir que du Christ lui-même." "Elle est une investiture par le Christ Lui-même, pour son Eglise. L' "imposition des mains" - avec la prière consécratoire-, constitue le signe visible de cette consécration, de cette institution. (C.E.C. 1538)
Le Pape Benoît XVI a fait remarquer l'importance du silence qui entourait le geste essentiel par lequel s'effectue l'ordination. "L'imposition des mains, explique-t-il, se déroule en silence. La parole humaine se tait. L'âme s'ouvre en silence à Dieu, dont la main se tend vers l'homme, l'attire à Lui. Et, dans le même temps, le couvre pour le protéger afin que, par la suite, il soit entièrement la propriété de Dieu, il lui appartienne entièrement et introduise les hommes dans les mains de Dieu... Son sacerdoce n'est pas domination mais service."
Ce silence, frères et soeurs, au soeur de la liturgie d'ordination, au moment le plus essentiel, n'est pas le signe d'une absence. C'est, au contraire, la plénitude d'une présence qui agit. L'homme - dans la pauvreté des moyens dont il dispose - n'a pas trouvé de meilleure expression que celle du silence, par lequel il s'efface et laisse place à l'action de Dieu. Ce silence est la marque du passage de Dieu, en écho, peut-être, à l'expérience que rapporte la Bible. Celle du prophète Elie qui n'avait pas reconnu la présence de Dieu dans le tremblement de terre, ni dans le bruit du tonnerre, mais dans le silence de la brise légère.
Tout à Dieu
Ainsi, les nouveaux ordonnés naissent "de" l'action de Dieu ; en naissant de Lui, ils deviennent son bien et Dieu devient leur héritage. Ils peuvent alors être tout aux hommes parce qu'ils sont tout à Dieu. Saint Paul ne suppliait-il pas ainsi les chrétiens de Corinthe : « Nous sommes les envoyés de la part du Christ ; et c'est Dieu qui exhorte à travers nous. Nous vous en supplions de la part du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu (2 Cor 5,20). » Les conséquences sont grandes.
Comme ordonné, le prêtre ne peut pas présenter ses idées privées. Il doit communiquer la parole d'un Autre ; cela signifie avant tout : je dois connaître et aimer cette Parole ; il me faut la comprendre, elle doit devenir la mienne! Elle fait partie de mon être. Impossible donc d'agir à la manière d'un porteur de télégramme qui transmet un message auquel il reste étranger. Le prêtre transmet la parole de celui qui l'envoie non pas comme un télégraphiste mais comme un témoin. Il parle du Christ à la première personne. Il est en elle, comme elle est en lui.
Le prêtre devient ainsi le « défenseur né des intérêts de Dieu ». Et cette mission, pour laquelle la force de l'Esprit Saint lui est donné par le sacrement de l'Ordre le conduit à tout rétablir dans le Christ. C'est-à-dire, disait le Cardinal Suhard : « Remettre le monde dans l'ordre, le restaurer dans la beauté et sa beauté première ; le recréer dans la pureté et l'harmonie originelle. » (Prêtre dans la cité n.71) Tourner ainsi le monde vers Dieu, lui donner son Orient, place le prêtre devant un certain nombre de défis.
Un certain nombre de défis
1. La grandeur du prêtre
Le premier est de protéger la grandeur du Trésor qui lui est confié et d'assumer la responsabilité qui en découle. L'exemple de la célèbre rencontre au Vatican de Gorbatchev avec Jean-Paul II, le premier décembre 1989, en est une magnifique illustration. Le Président russe, se tournant vers sa femme Raïssa, l'introduit ainsi auprès de son hôte en disant : « J'ai l'honneur de te présenter à la plus grande Autorité morale de cette terre », et avec un sourire: « il est slave comme nous. » Cette manière de parler est profonde ; elle montre le besoin que ressent le monde d'avoir des références spirituelles et morales. Le prêtre continue d'en être une auprès de beaucoup. C'est bien pour cette raison que la chute de quelques uns d'entre eux est si profondément ressentie. Les vives réactions qu'elle provoque sont à la mesure de la confiance qu'on lui fait. Chers ordinands, restez fidèles à cette grandeur que vous endossez à l'ordination. Restez les authentiques porteurs de cette beauté qui ne vous appartient pas. Gardez-la toujours au service de Dieu. Ne la mettez jamais au service d'intérêts personnels.
Tourner le monde vers Dieu amène le prêtre à rechercher les brèches par lesquelles il peut toucher le soeur des hommes. L'étonnement et l'inquiétude sont des routes possibles.
2. L'étonnement
Le plus souvent, l'indifférence oppose à la vie chrétienne un rempart difficile à ébranler ! Un message aussi ancien que celui de l'Evangile ne suscite guère de surprise ! Le sentiment du "déjà vu", du "déjà entendu" l'emporte sur l'effet de nouveauté. C'est donc dans sa propre vie que le prêtre doit montrer cette nouveauté ; il est renvoyé à la radicalité évangélique. Les promesses d'obéissance, de pauvreté, et surtout de chasteté auxquelles il s'engage sont destinées à montrer le Christ agissant dans sa propre vie. Chez l'homme contemporain, rien n'est plus source d'étonnement que ce témoignage d'une vie où la sexualité ne l'emporte pas sur tout le comportement, sans pour autant diminuer la joie de vivre et le don de soi aux autres.
3. L'inquiétude
Le Cardinal Suhard, sans sa lettre sur le Prêtre dans la Cité privilégie ce chemin. Il écrit : « Comme le Christ, le prêtre apporte à l'humanité un bienfait sans égal: celui de l'inquiéter. Il doit être le "ministre de l'inquiétude", le dispensateur d'une soif et d'une faim nouvelles ; Comme Dieu, il appelle "la faim sur la terre". Il ne s'agit pas, c'est évident, de semer une peur maladive dans des consciences déjà exacerbées par la vie moderne. L'inquiétude que doit semer le prêtre, c'est cette crainte de Dieu, ce tourment de l'infini qui a fait pousser aux mystiques et aux penseurs de tous les temps, des cris d'appel si bouleversants. » Il s'agit de mettre au soeur de l'homme l'insatisfaction d'une vie sans horizon pour le tourner vers Dieu ; « Notre soeur est sans repos tant qu'il ne demeure en Toi », disait saint Augustin.
Vous qui avez vécu pendant des années ici, à Ars, vous trouvez en Jean-Marie Vianney un soutien incomparable. Qui, mieux que lui, a "étonné" et "inquiété" ? Il est pour nous tous, prêtres, « le modèle hors pair, à la fois de l'accomplissement du ministère et de la sainteté du ministre », selon les paroles de Jean-Paul II rappelées ici à Ars lors de son pèlerinage en octobre 1986.
Un prêtre modèle est un prêtre qui attire parce que rayonne de lui la réussite exemplaire de son ministère. Sa vie est si lumineuse qu'elle suscite dans les soeurs le désir de devenir prêtre et le désir de lui ressembler. Surtout, sa vie est une source d'espérance car elle montre avec force « ce que peut faire la puissance de la grâce dans la pauvreté des moyens humains ». C'est une grâce insigne que vous ayez pu entreprendre et poursuivre votre formation dans ces lieux bénis où tant de prêtres, au cours de cette année sacerdotale, sont venus confier leur ministère au Saint Curé.
+ Père Guy Bagnard
Évêque de Belley-Ars