2011-05-13 - Edito : Mettre au monde des saints !
Le 1er mai 2011, en présence d'une foule immense, Jean-Paul II est entré dans le cortège des bienheureux, un cortège dont il a lui-même puissamment contribué à allonger la liste, puisqu'en 26 ans de pontificat, il a présidé 1 338 béatifications et 482 canonisations.
Qu'est-ce que cet événement change ? Pour lui, le bienheureux, pas grand chose, mais pour nous, si ! En le déclarant bienheureux, l'Église nous dit : Vous avez sous les yeux un grand ami de Dieu. Désormais, il se tient devant vous comme un modèle à imiter. Par cette béatification est reconnue l'authenticité de sa vie !
La première conséquence c'est que désormais, tout chrétien peut passer par lui quand il s'adresse à Dieu dans sa prière. Un ami occupe une place privilégiée ! Il détient une réelle puissance sur le coeur de son ami. Il peut se permettre d'insister sans importuner. L'amitié rend audacieux. Elle retient l'attention de l'ami, en même temps qu'elle obtient de lui ce qu'elle demande, car l'amitié fait partager les mêmes pensées et les mêmes désirs. Elle fait l'union des coeurs ! Que peut-on refuser à un ami très cher ?
Depuis ses origines, l'Eglise a toujours cru à la puissance de l'intercession des saints. Elle ne les met pas sur les autels pour un simple motif de décoration ; elle veut en faire des compagnons de route pour tout chrétien en marche vers le Royaume de Dieu.
La deuxième conséquence c'est que tout chrétien est appelé à regarder la vie du nouveau bienheureux comme une source d'inspiration. On peut sans doute étudier sa vie comme celle d'un personnage de l'histoire, à la manière d'un historien en quête d'informations sur une époque et dans un contexte historique précis. Mais rencontrer en vérité un saint, c'est recevoir sa vie comme une parole qui s'adresse à nous, à moi personnellement ; c'est un appel à aligner ma vie sur la sienne. Entre lui et moi se tisse un lien d'affection qui me conduit à vouloir l'imiter. Sa vie est une fontaine d'où s'échappe une eau bienfaisante pour celui qui en boit.
Les points forts de cette existence hors du commun
D'où cette question : quels sont les points forts qui ressortent de cette existence hors du commun ?
Quand on embrasse du regard les 26 années que Jean-Paul II a passées sur le siège de Pierre, on les voit se diviser en deux parties : l'une d'une extrême activité, avec en particulier des voyages en tout lieu du globe, une multiplication de documents, l'accueil d'une multitude de groupes, des rendez-vous sans nombre, etc. ; l'autre partie est marquée par un effacement non moins spectaculaire, une période où la maladie et les misères de l'âge le terrassent, au point qu'il ne peut plus parler ni même lever le bras pour bénir ! C'est l'ensevelissement dans le silence, mais toujours dans la permanence d'une présence.
C'est évidemment la première qui nous paraît la plus féconde. La seconde semble n'être qu'un sursis, une attente de la fin À un interlocuteur qui l'invitait discrètement et respectueusement à en tirer les conséquences, Jean-Paul II avait répondu : « Mais Jésus n'est pas descendu de la croix ! »
Il était convaincu que la manière dont Dieu agit ne ressemble pas à la nôtre. Chaque fois qu'il s'est trouvé en face d'épreuves, il a délibérément choisi le chemin du Christ. Ainsi, au lendemain de l'attentat qui l'a frappé, il déclare aux pèlerins rassemblés sous sa fenêtre : "Dieu m'a permis d'éprouver le danger de perdre la vie. Il m'a donné de comprendre que c'était une grâce spéciale pour moi... la grâce de pouvoir, par la souffrance et au péril de ma vie et de ma santé, rendre témoignage à sa vérité et à son amour. Je crois que cela pourra servir à renforcer l'Église et m'affermir moi-même personnellement."
Jean-Paul II situe son existence à l'intérieur de celle de Jésus, son unique Maître
De même, après sa rechute qui l'a immobilisé pendant plusieurs mois en 1994 : « J'ai compris que je dois faire entrer l'Église du Christ dans le troisième millénaire par la prière, par différentes initiatives, mais j'ai vu que cela ne suffisait pas : il fallait l'y faire entrer avec la souffrance, avec l'attentat d'il y a treize ans et avec ce nouveau sacrifice... Je dois à nouveau rencontrer ces puissants du monde et je dois parler. Avec quels arguments ? Il me reste cet argument de la souffrance. Et je voudrais leur dire : Comprenez-le, comprenez pourquoi le Pape a de nouveau été à l'hôpital, de nouveau dans la souffrance, comprenez-le, repensez-y ! »
Jean-Paul II fait des événements qui l'atteignent une lecture surnaturelle. Il situe son existence à l'intérieur de celle de Jésus, son unique Maître. Dès lors, toute épreuve entre dans un dessein plus large d'où elle reçoit son sens profond ; tout est alors à vivre comme une grâce ! Un don !
C'est de cette façon que Benoît XVI relit lui aussi la vie de celui avec lequel il a collaboré pendant 23 ans. En parlant des dernières années de sa vie, il écrit : « Le temps de ces souffrances n'a certainement pas été un temps vide. Je crois qu'il a même été très important pour l'Église d'avoir justement, après une grande activité, la leçon de la Passion, et de voir que l'Église peut être aussi guidée par elle, que c'est justement par la Passion qu'elle mûrit et vit... La rencontre avec le Christ souffrant a touché le coeur des hommes plus profondément que ce que le Pape pouvait faire en activité... Cet accent a permis de rendre soudain visible le pouvoir de la Croix ! »
On est frappé par la proximité géographique du camp d'Auschwitz avec la ville de Wadowice, lieu de naissance de Jean-Paul II
Cette lecture intérieure des événements nous oriente vers une autre donnée qui a tenu une place capitale dans la vie de Jean-Paul II : la Miséricorde. Pour ceux qui entreprennent le pèlerinage « sur les pas de Jean-Paul II » en Pologne, ils sont tout de suite frappé par la proximité géographique du camp d'Auschwitz avec la ville de Wadowice, lieu de naissance de Jean-Paul II. Vingt-quatre kilomètres seulement les séparent l'un de l'autre. Dans le voisinage du lieu où s'est révélé le mystère du mal, dont l'ampleur a stupéfié le monde, est né celui qui allait bientôt manifester la seule et unique réponse à apporter : celle de la miséricorde, c'est-à-dire celle que le Christ indique à l'humanité !
La Miséricorde ouvre toutes grandes les portes aux paroles de saint Paul : « Soyez vainqueurs du mal par le bien. » Notre mouvement habituel est de combattre le mal par des réactions qui souvent ne font qu'ajouter un nouveau mal au mal existant. La Miséricorde prend le contrepied de la violence. C'est ainsi que Jean-Paul II, alors Père du Concile Vatican II comme archevêque de Cracovie, avait engagé les évêques polonais à donner le pardon aux évêques allemands. On se souvient de l'histoire : l'extermination de plus de 6 millions de citoyens polonais en comptant ceux d'origine juive, 2 000 prêtres, cinq évêques, envoyés en camp de concentration. Voici l'extrait de la lettre du 18 novembre 1965 adressée par les évêques polonais aux évêques allemands : « Malgré ce passé si chargé..., finissons-en..., entrons dans le dialogue. C'est dans cet esprit que nous vous tendons nos mains dans les bancs de ce Concile qui s'achève, que nous vous pardonnons et que nous vous demandons de pardonner. »
La Miséricorde ne bafoue pas la Vérité. Elle l'assume !
Le Gouvernement communiste polonais déclencha une véritable guerre de propagande contre l'épiscopat. Comment justifier l'appel à pardonner et pire encore à se faire pardonner ? La réponse de l'épiscopat polonais, sous la plume de Karol Wojtyla, parut le 10 février 1966. Une seule phrase suffit à en donner la teneur : « Nous estimons que, n'y eût-il qu'un seul polonais au cours des siècles qui se fût rendu coupable d'une action indigne, cela suffirait pour que nous demandions pardon. »
On ne peut pas en conclure pour autant que le pardon se moque de la vérité. La Miséricorde ne bafoue pas la Vérité. Elle l'assume ! Voici ce qu'écrivait Jean-Paul II dans un tout autre contexte, celui du dialogue ?cuménique avec les Protestants, pour le cinquième centenaire de la naissance de Luther en 1983. Il écrit, en s'adressant aux Luthériens : « De quelque côté qu'elle se trouve, la faute doit être reconnue là où elle existe . C'est seulement en prenant une attitude qui se soumet à la purification par la vérité que nous pouvons accéder à une compréhension commune du passé et donc aussi trouver de nouveaux points de départ pour le dialogue d'aujourd'hui ! »
C'est le troisième aspect que l'on puise dans l'existence de Jean-Paul II. Qu'on se souvienne seulement de la visite de Gorbatchev au Vatican, le 19 décembre 1989. Arrivé quelques jours avant à Rome, il avait déclaré à la mairie de Rome, en réponse à la déclaration d'un journaliste de l'Avvenire qui l'interrogeait : « Mais qu'est-ce qui s'est donc produit en URSS pour que s'effondre le mur de Berlin? » "La nouveauté - avait répondu Gorbatchev - tient dans le fait que nous avons renoncé au monopole de la vérité."
La croix - la miséricorde - la vérité : trois maîtres mots qui sont autant de sources vives pour les chrétiens
Or, à l'issue de l'entrevue avec le Pape - qui dura une bonne heure - Gorbatchev reçut des mains de Jean-Paul II une superbe mosaïque de l'École vaticane ; on y voyait un Christ ancien, assis sur un trône de gloire, et tenant sur ses genoux le Livre des Évangiles ouvert ; on pouvait y lire, en lettres grecques, ces paroles de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ». Le lendemain, l'Osservatore Romano titrait : « L'impensable est arrivé, le mystère de l'histoire a vaincu les prévisions des hommes. »
Benoît XVI écrit dans « Lumière du monde » : « L'homme est capable de vérité... La vérité ne parviendra pas à régner par la force, mais par son propre pouvoir. Voilà le compte-rendu central de l'Évangile selon saint Jean. Jésus se présente devant Pilate comme la vérité. Il ne défend pas la vérité avec l'aide de légions, mais il la rend visible par sa Passion et c'est aussi de cette façon qu'il la met en vigueur. »
La croix - la miséricorde - la vérité : trois maîtres mots qui sont autant de sources vives pour les chrétiens qui ont appris à aimer ce prophète des temps nouveaux. Ils peuvent y puiser une élan profond sur le chemin de leur propre sainteté. « Le monde est fait pour engendrer des saints. »
+ Père Guy Bagnard
Évêque de Belley-Ars