2011-09-10 - Edito : Sommes-nous prêts à assumer notre différence chrétienne ?
Cette nouvelle année pastorale sera marquée par la célébration de la Pentecôte 2012, les 26 et 27 mai, à Bourg-en-Bresse. La venue du célèbre prédicateur, le Père Raniero Cantalamessa, capucin italien, donnera un relief inhabituel à cette rencontre diocésaine.
Le Sacrement de la Confirmation sera mis à l'honneur, avec un grand nombre de jeunes et d'adultes qui le recevront. La plupart se préparent déjà spirituellement à cet évènement dans leur paroisse. Mais au-delà de ce sacrement, qui fait de chaque confirmé un missionnaire, nous fêterons les 1 600 ans de la présence chrétienne dans notre région. Depuis l'année 412, une communauté chrétienne est établie à Belley avec un évêque et des prêtres. Ainsi, depuis seize siècles, la vie chrétienne est présente sur ce territoire, avec bien entendu, les conséquences qu'elle a engendrées dans le coeur des hommes des siècles passés.
Sur une durée aussi considérable, le christianisme ne peut pas avoir été sans effet sur les esprits ; il a forcément laissé des traces, aussi bien sur les intelligences que sur les mentalités et le comportement social. Sans risque d'erreur, on peut parler des « racines chrétiennes » de notre pays de France et au-delà, de toute l'Europe !
Sur cette trajectoire, quasi deux fois millénaire, un phénomène nouveau apparaît aujourd'hui. Notre époque semble vouloir renier son propre passé. Par une multitude d'initiatives, la vie chrétienne est amenée à se cantonner dans un espace de plus en plus réduit, comme si être chrétien n'avait aucune conséquence sur le comportement moral, familial, social ou politique. Le chrétien est appelé à vivre dans une société qui abandonne le terreau chrétien sur lequel a germé sa propre civilisation.
Les premiers chrétiens n'acceptent pas de transiger avec leur foi
Le christianisme se trouve ramené aux premiers siècles de son histoire, au temps où la société ignorait tout du message évangélique et s'édifiait en dehors de lui. C'est l'époque de ce fameux texte connu sous le nom d' « Épître à Diognète », écrit autour des années 190-200. Les chrétiens, qui étaient alors persécutés, éprouvaient le besoin de se faire connaître : « Comme tout le monde, le chrétien se marie ; il a des enfants, mais il n'abandonne pas les nouveaux-nés. Il fait table commune mais ne partage pas son épouse. Son existence se passe sur la terre, mais il est citoyen du ciel. Il obéit aux lois établies, mais par le genre de vie qui lui est propre, il s'élève au-dessus des lois. »
Ce bref passage suffit à montrer que les chrétiens n'acceptent pas de transiger avec leur foi. Certes, ils vivent dans la société de leur temps, comme tous les autres citoyens, mais leur Maître, c'est le Christ. C'est sur LUI qu'ils calquent leur vie. Leur mode de vie se distingue donc forcément de celui des non-chrétiens. Leur fidélité à ce qu'ils « sont » va devenir avec le temps un ferment qui progressivement transformera la société de l'intérieur et donnera naissance à ce que nous appelons « la civilisation chrétienne ». Bien loin de se laisser dissoudre dans l'indifférence générale, l'auteur du texte énonce la détermination des chrétiens de l'époque : « Dieu a placé les chrétiens à un poste si élevé qu'il ne leur est pas permis de se dérober. »
Le chrétien est-il prêt à suivre le Christ jusque dans le concret de sa vie ?
Or, voici qu'aujourd'hui les chrétiens sont confrontés à des situations comparables à celles des premiers siècles. Qu'on en juge par les conditions nouvelles où ils sont appelés à vivre :
- Le dimanche est devenu un jour où l'on travaille ;
- le mariage, un contrat révocable à tout moment ;
- le début et la fin de la vie humaine compromis par l'avortement et l'euthanasie ;
- la théorie du « gender » est enseignée dans les écoles ;
- le « pass-contraception » offre aux jeunes la possibilité de toutes sortes d'expériences dans le domaine de la sexualité, à l'insu des parents et de la communauté éducative ;
- la législation sur la bio-éthique met gravement en cause le respect de l'être humain et la structure de la cellule familiale ;
- etc.
D'où la question : le chrétien est-il prêt à vivre dans une société qui légifère en contradiction avec ses propres convictions ? Est-il prêt à suivre le Christ jusque dans le concret de sa vie ? C'est le défi radicalement nouveau auquel est confronté celui qui veut conformer sa vie au message évangélique. En somme, les chrétiens sont-ils prêts à assumer leur différence ?
Cette interrogation n'est pas gratuite. Certes, dans notre pays, les chrétiens ne sont pas persécutés, au sens du martyre sanglant, comme ils l'ont été en de nombreux pays au temps des idéologies athées du XXe siècle et comme c'est encore le cas de nos jours en bien des régions. En Occident, on ne verse pas leur sang et ils ne sont pas conduits en prison. Mais ils sont subtilement amenés à renoncer à leur foi par le biais d'un climat général - apparemment inoffensif - mais, qui détruit de l'intérieur leur conviction, avec des slogans du genre : il faut être ouvert ; savoir se mettre à la place de l'autre, comprendre le point de vue de l'interlocuteur et accueillir sa pensée qui est « forcément » un enrichissement pour soi-même, etc.
Les chrétiens sont subtilement amenés à renoncer à leur foi
Dans ces circonstances, d'étranges similitudes apparaissent avec ce qui s'est passé en Chine, dans les années 50, avec la communauté catholique de Shangaï. Là aussi, pas de persécution sanglante ; au contraire, un climat « paisible », mais où émerge une permanente contestation de leur foi à travers la vie de tous les jours.
« Dans cette nouvelle économie de persécution, écrit le Père Jésuite, Jean Lefeuvre, alors missionnaire là-bas, il s'agit moins de supprimer par la violence le confesseur de la foi, que d'éviter à la foi la confession d'elle-même. Faire dériver le contenu de la foi dans des expressions - surtout politiques - qui progressivement la nient, exténuer tellement la vie spirituelle du chrétien que, l'heure étant venue pour lui de parler, il n'ait rien d'autre à dire que ce qu'il est progressivement devenu, c'est-à-dire un vivant désaveu de sa foi, tel est le but. Pour l'atteindre, la banalité de la vie quotidienne tout entière orientée par des slogans, des expositions, des articles de journaux, des conversations, des enquêtes ou des réunions, doit y suffire. C'est en elle que doivent s'opérer les affrontements décisifs. (...) Il est essentiel à ce type nouveau de persécution de s'enfouir avec les hommes dans l'existence journalière ; la discrétion apparente dont il s'enveloppe est un des traits fondamentaux de sa réalité. » (Les enfants dans la ville, préface).
Un « vivre ensemble » où la fraternité tend à dissoudre les identités
On voit sans peine combien sont nombreuses les ressemblances avec notre époque. Certes, on ne s'en prend pas frontalement à la foi ; on lui fait plutôt subir une lente érosion par la légalisation de comportements qui la contredisent et par un « vivre ensemble » où la fraternité tend à dissoudre les identités.
Impossible dans ces conditions d'être chrétiens sans une détermination mûrie et personnelle, ce qui suppose une foi adulte. D'où l'appel à une formation éprouvée, à un attachement profond au Christ et à l'amour de « son » Église.
C'est d'autant plus vrai que certains penseurs ont prophétisé la disparition du christianisme en se servant des chrétiens eux-mêmes. C'est le cas du philosophe allemand, Ludwig Feuerbach, du milieu du XIXe siècle, adversaire résolu du christianisme et qui écrivait : « L'homme ne sera heureux que lorsqu'il aura tué le christianisme qui l'empêche d'être homme. Et ce n'est pas par une persécution qu'on tuera le christianisme : car une persécution nourrit. C'est par la cinquième colonne, par la transformation interne et irréversible du christianisme en athéisme humain, avec l'aide des chrétiens eux-mêmes, illuminés par une fausse charité. » (cité par Jean Guitton dans "Lettres ouvertes", Payot, 1993, p. 238).
C'est donc vers les chrétiens des premiers siècles que les chrétiens d'aujourd'hui sont appelés à se tourner ! Et c'est pourquoi l'anniversaire de leur si ancienne présence chrétienne dans notre diocèse revêt un caractère de première importance. En nous reliant au passé, il nous indique le chemin à suivre pour l'avenir. C'est en vivant courageusement notre différence que nous écrirons une nouvelle page de l'histoire chrétienne !
+ Père Guy Bagnard, Évêque de Belley-Ars