2010-05-07 - Interview : La communion entre Eglises - Retour d'Irlande
Du 25 au 28 avril, Mgr Bagnard s'est rendu en pèlerinage en Irlande pour porter à cette Eglise meurtrie la relique du coeur du Saint Curé d'Ars. Il livre ses impressions pour EPA.
EPA : Pourquoi avoir apporté le coeur du curé d'Ars en Irlande ?
Mgr Bagnard : Les évêques d'Irlande avaient émis le grand désir de recevoir les reliques du Saint Curé. Pour moi, et pour le père Patrick Giraud qui m'accompagnait, c'était une occasion naturelle de venir dire aux communautés chrétiennes d'Irlande, aux prêtres et aux laïcs que nous leur témoignions notre amitié, notre prière pendant cette année sacerdotale. Accompagner le reliquaire contenant le coeur du Curé d'Ars dans une Eglise éprouvée par les fautes graves d'un certain nombre de prêtres, n'est pas une démarche facile. Il ne faut surtout pas laisser croire qu'on arrive en « sauveur » ou en « donneur de leçons ». Mais en même temps, il serait très pénible de donner l'impression que l'on reste indifférent devant ce qui est un véritable drame. Il s'agissait donc de s'effacer et de n'être là que comme l'accompagnateur du reliquaire du Saint Curé d'Ars, prêtre reconnu par l'Eglise universelle pour sa sainteté et donné en modèle aux prêtres. C'était, en quelque sorte, le Curé d'Ars qui visitait lui-même cette Eglise meurtrie ; il la prenait dans sa prière ; il l'invitait au repentir, lui qui a tant célébré le sacrement du pardon ; il stimulait les prêtres à vivre saintement leur ministère.
L'Eglise irlandaise est-elle très abattue ?
Elle a pris conscience de la gravité des faits. Il m'a semblé qu'elle resserrait les rangs, qu'elle était plutôt unie. Les gens portent le poids d'une certaine honte, mais sont solidaires d'une Eglise qui souffre. La situation oblige chacun à se remettre en cause dans sa propre foi, à sortir du formalisme. Les irlandais ne parlent pas volontiers de ces affaires très éprouvantes pour tous, très douloureuses pour les prêtres. Mgr Philip Boyce, qui présidait la célébration au centre marial de Knock, a parlé de ce drame au début de son homélie, dans laquelle il a fait l'allusion la plus nette et la plus claire entendue en public. Ce passage m'a marqué. Le voici : « Nous vivons depuis juin 2009 un temps que le Pape Benoît XVI a inauguré sous le nom d'Année pour les Prêtres. Elle a suscité beaucoup de prière adressée à Dieu pour la fidélité, le renouveau intérieur et la sainteté des prêtres. Cependant, cette année s'est trouvée marquée par la révélation des péchés et des crimes scandaleux de ceux dont les mains ont été ointes pour le service sacré, mais qui ont trahi la confiance que des enfants innocents mettaient en eux. Au lieu de les conduire à Dieu, ils les ont fourvoyés et ont saccagé leurs vies. Selon la plainte et la supplication du prophète Daniel : « A Toi, Seigneur, la justice, à nous, la honte au visage... Au Seigneur notre Dieu, la miséricorde et le pardon, car nous nous sommes rebellés contre lui, et nous n'avons pas écouté la voix du Seigneur notre Dieu pour suivre ses lois... O Seigneur, écoute! O Seigneur, pardonne ! O Seigneur, veille et agis ! » (Daniel 9, 1, 9-10, 19)
Comment peut-on en arriver à de tels drames ?
Pour mieux comprendre ce qui s'est passé, il faut savoir qu'il y a trente ans, toutes les institutions scolaires étaient entre les mains de l'Eglise. Aujourd'hui encore, toutes les écoles primaires d'Irlande sont tenues par l'Eglise. Cette présence continue des prêtres et des religieux auprès des jeunes offre des conditions de tentation et de fautes graves. Il y a eu beaucoup d'enfants abusés, mais il semble que ce soit le fait d'un petit nombre de prêtres, des prêtres très malades psychiquement et qui ont multiplié les abus sur des enfants et des jeunes, et cela pendant des années.
En quoi le Curé d'Ars peut-il être une source de réconfort pour l'Irlande ?
Le Curé d'Ars est un prêtre tout simple, proche, pauvre, humble. Tout le monde se trouve spontanément en proximité avec lui. Il est le patron de tous les prêtres de l'univers, c'est-à-dire à la fois un modèle qui rayonne, qui attire et un modèle plein de miséricorde, qui ne condamne pas et permet à chacun de repartir.
Pendant mes visites, j'ai rappelé cet épisode de la vie du Curé d'Ars. Son évêque lui demandait ce qu'il fallait faire pour transformer le diocèse : « Il faut faire des saints de tous vos prêtres », avait-il répondu. J'ai cité aussi cette formule de Jean-Paul II : « La vie de Jean-Marie Vianney montre ce que la puissance de la grâce peut accomplir dans la pauvreté des moyens humains. » C'est le résumé de toute la vie du Curé d'Ars ! Il nous montre que même dans ce qui est faible, fragile, pauvre, même la faute, Dieu peut, avec sa grâce, tirer un bien dont on n'a pas l'idée. Dieu peut, à travers un mal, faire que par sa grâce, le bien triomphe. Je l'ai dit à plusieurs reprises. De plus, le Curé d'Ars nous montre à quel point la paroisse est importante pour la vie des chrétiens. La paroisse, c'est une famille élargie. Le curé d'Ars, en étant le prêtre saint de sa paroisse, a transformé les gens, a permis aux familles, aux habitants de retrouver un nouvel élan, aussi bien sur le plan de la foi que sur le plan humain.
C'est dans ce contexte d'espérance que l'on peut le mieux surmonter une épreuve et repartir dans la confiance !
L'Eglise peut-elle redonner confiance aux personnes blessées ?
La blessure est très profonde. Seul un regard de foi peut amener les gens à dépasser leurs souffrances. L'Eglise est faite de pécheurs mais elle est le chemin que le Christ a voulu pour nous, pour nous nourrir de sa parole et des sacrements : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise », dit Jésus. Mais peut-on avoir ce regard de foi quand on a été soi-même gravement blessé ? Si on éprouve un tel effondrement devant ces drames, c'est que le prêtre représente quelque chose de très grand, en lequel on éprouve une confiance spontanée, entre les mains duquel on a le désir de se remettre, parce qu'on voit en lui le représentant de Dieu. Dès lors, il est nécessaire que les prêtres aient une meilleure compréhension des personnes blessées et de leur souffrance. Il faut qu'ils se rendent compte que la faute est d'autant plus grave qu'elle a été commise par le prêtre coupable dans un contexte d'abus de confiance. Plus la confiance accordée a été grande, plus la faute est grave et la blessure profonde. Le prêtre « fidèle », lui, est naturellement pénalisé par le regard des gens qui ont souffert. Il doit, par conséquent, être très strict dans son comportement. Cela suppose de sa part une grande prudence. La meilleur façon, pour lui, de se montrer solidaire des victimes est de se montrer ferme dans la propre correction de sa vie.
Le voyage entrepris en Irlande n'a pas d'autre but que de permettre aux prêtres, aux évêques et aux chrétiens de retrouver confiance et de tenir leur regard sur Jean-Marie Vianney, ce prêtre qui a donné toute sa vie pour entrainer ses contemporains vers la sainteté.
Quelles autres réflexions vous inspirent ces révélations à répétition concernant des prêtres et même des évêques ?
Ce qui frappe, dans un certain nombre de cas, c'est la distance qui sépare les faits au moment où ils se sont produits et les jugements auxquels ils donnent lieu aujourd'hui. Il s'est écoulé parfois plus d'une trentaine d'années.
Il ne s'agit pas, bien entendu, d'invoquer cette distance pour contester les procès en cours. Que la Justice fasse son ?uvre ! Mais ce qui est à prendre en compte, c'est la grande évolution qui s'est produite, au sein de l'opinion, dans la façon de traiter ces faits. Voyez, par exemple, en France ! Des personnalités connues pouvaient déclarer publiquement, il y a trente ans, qu'elles avaient eu des rapports avec des mineurs, sans que de telles "confidences" suscitent un mouvement de désapprobation, ni même d'inquiétude.
Par ailleurs, certains chroniqueurs récents n'ont pas manqué de faire remarquer que les institutions jouaient autrefois un rôle important dans le traitement de certains faits. Que ce soit l'Armée, les grands Services Publics, l'Eglise avec son droit canon, toutes réglaient en interne des situations d'une réelle gravité concernant ses membres. Par exemple, on connaît bien le cas de l'Armée qui, avec sa juridiction propre, n'hésitait pas à envoyer à la Légion Etrangère certains de ses militaires qui avaient commis de graves abus. En réglant elles-mêmes la question de leurs "ressortissants", les institutions, non seulement pouvaient leur offrir une solution d'avenir, mais en même temps, elles protégeaient la confiance que les citoyens mettaient en elles. Or ces règles de la vie sociale - autrefois communément admises - sont aujourd'hui devenues caduques. Les temps ont changé !
Si bien qu'en jugeant aujourd'hui des faits qui se sont produits dans un autre contexte social et vis à vis desquels on avait une tout autre approche à l'époque, on risque, sans peut-être en avoir une claire conscience, de faire peser sur les responsables d'alors le poids d'une attitude qui n'était pas répréhensible dans le contexte social. Si bien que les mêmes faits - à trente ans de distance - n'ont plus le même traitement.
Vous pensez que cela entraîne des conséquences ?
D'abord, il ne faut pas que l'on oublie l'évolution considérable qui, en peu de temps, a modifié la perception des mêmes faits. Il n'y a pas de doute que les règles d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que celles d'il y a trente ou quarante ans. Aujourd'hui, tout doit être remis entre les mains de la justice civile, et cela dans la plus grande transparence. C'est un acquis ! C'est une avancée certaine. Personne ne peut plus se prévaloir d'un quelconque privilège. Soit! Mais l'exigence d'un tel degré de transparence entraîne des conséquences dont on ne mesure pas la portée pour la vie en société. Vivre sous l'?il des autres - comme le poisson dans son bocal - soulève la question que Jean-Claude Guillebaud posait récemment : "Dans une lumière aussi crue, une société humaine peut-elle durablement survivre ?"
Sachant que ses agissements peuvent être mis sur la place publique, tout individu a tendance à se dissimuler un peu plus, à redouter tous les regards ! Tout le monde peut dénoncer tout le monde ! A qui se confier si chaque confidence devient le chemin ouvert pour une dénonciation ? L'individu se trouve plus que jamais isolé, enfermé sur lui-même et donc capable du pire !
Il est impératif que les coupables - surtout pour des faits aussi graves que ceux de la pédophilie - soient jugés et condamnés et que la profonde blessure des victimes soit vraiment prise en compte ! Mais ce qui est à déplorer, c'est qu'entre l'individu et la Justice, il n'y ait plus aucune institution intermédiaire ! Mais bien sûr, encore faut-il que l'intermédiaire assume sa propre responsabilité. Or il reste vrai, me semble-t-il, que dans certains cas, en ce qui concerne l'Eglise, la responsabilité de l'intermédiaire n'a pas été assumée. Il suffit de lire la lettre que le pape a adressée à l'Eglise d'Irlande.
Le coeur du Curé d'Ars en Irlande
Dimanche 25 avril
Thème : Les vocations au sacerdoce. Dans l'après-midi, arrivée de la relique, accompagnée de Mgr Bagnard et du père Patrick Giraud, à l'aéroport de Cork, sur la côte ouest de l'Irlande. Messe présidée par Mgr John Buckley, évêque de Cork, avec la communauté franciscaine, et concélébrée par plus de 70 prêtres devant une assistance très nombreuse, vénération des reliques, nuit de prière.
Lundi 26 avril
Thème : L'activité sociale du Curé d'Ars. Arrivée dans la paroisse Saint-Jean-Marie-Vianney à Dublin. Messe présidée par l'archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin en présence du curé de la paroisse Father Robert Mann et du Père Eamon Burke, responsable des vocations à Dublin (25 concélébrants), devant un millier de personnes. Vénération de la relique. Dans la soirée, vêpres au séminaire St-Patrick Maynooth (80 séminaristes), seul grand séminaire pour toute l'Irlande. Nuit de prière.
Mardi 27 avril
Thème : Le sacrement de la réconciliation : Arrivée à Knock, grand sanctuaire marial de l'Irlande. Vénération des reliques, messe présidée par Mgr Philip Boyce, évêque de Raphoe, concélébrée par 5 évêques et 120 prêtres devant 1500 personnes. Le sacrement des malades est donné au cours de la messe. Conférence du Père Michael Drumm sur la réconciliation. Adoration et vénération de la relique. Le soir, retour à Dublin.
Mercredi 28 avril
Thème : L'Eucharistie et la conduite pastorale.
A Armagh, messe à la cathédrale St Patrick, présidée par le cardinal Sean-Baptist Brady, archevêque d'Armagh et primat d'Irlande. Vénération de la relique et présence de sept à dix prêtres l'après-midi, pour les confessions. Seconde Messe concélébrée le soir avant le départ de la relique remise par le cardinal Brady.