2001-06-10 - Edito : Pour qu'ils aient la vie en abondance !
Le mois de juin est le mois des ordinations. Notre diocèse aura la joie - cette année encore - d'accueillir plusieurs jeunes prêtres et diacre. Leur ordination est prévue le dimanche 26 juin à Ars, jour de la fête de l'Eucharistie, ce que, selon le calendrier liturgique, nous appelons la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ.
Il n'y a pas d'événement plus heureux pour un diocèse ! La cause s'en trouve dans la promesse d'avenir qu'il représente. Chaque nouvelle ordination nous assure qu'il y aura un lendemain de la vie chrétienne grâce à ces hommes consacrés qui apporteront aux chrétiens l'Eucharistie et le Pardon, c'est-à-dire cette nourriture qui fait grandir dans la vie avec le Christ et enracine chaque disciple dans la communauté en y devenant un membre vivant et missionnaire.
Il faut de nombreuses années à un jeune adulte pour aboutir à cet événement ecclésial. Déjà, en elle-même, la formation est longue ; mais surtout, celui qui s'engage sur ce chemin est appelé à vérifier en profondeur la vérité de l'appel de Dieu sur sa vie et, plus que jamais, il faut qu'il soit affermi dans la foi, l'espérance et la charité, tout en étant solidement ancré dans son humanité. On ne peut pas séparer le temps de la formation, avec ce qu'il suppose comme étude, comme effort intellectuel, comme discipline de vie - du cheminement du discernement, avec ce que lui-même exige de transparence, de liberté intérieure, de connaissance de soi-même et de consentement généreux à l'appel du Maître.
Le prêtre est un témoin privilégié de l'intériorité
Aussi, un jeune qui s'offre à l'ordination et consacre sa vie au Christ et à ses frères, représente au sein de la communauté des croyants une véritable réussite spirituelle, une victoire remportée sur toutes sortes de forces obscures. C'est le signe concret de l'action de cet "hôte intérieur" - l'Esprit Saint - dans un coeur humain, conjuguée avec toutes les médiations humaines, familiales, sociales, ecclésiales, qui se sont liées dans une mystérieuse unité et, au terme, ont abouti à une décision qui fixe définitivement l'orientation de toute une existence : « Oui, Seigneur, je quitte tout pour marcher à ta suite ! »
L'Église diocésaine est dans l'action de grâce. Mais elle n'oublie pas d'entrer dans une prière fervente pour ceux qui vont bientôt faire leurs premiers pas dans le ministère, un ministère qui ne manquera pas de faire vibrer le coeur du prêtre à la vue de ce qu'accomplit l'Esprit Saint dans une conscience humaine et de ce qu'il déclenche comme générosité et élan dans l'ouverture au message évangélique. Et, en même temps, il ne pourra éviter d'être affecté - parfois profondément - par les indifférences et les fermetures, les incompréhensions, parfois même les trahisons. Car le coeur humain est un abîme où se côtoient à la fois ce qui soulève la plus profonde admiration : le don de soi sans mesure, et ce qui suscite la plus profonde tristesse : l'égoïsme, la luxure et l'orgueil, dans lesquels peut s'enliser la liberté de l'homme.
Le prêtre est un témoin privilégié de l'intériorité. Il ne peut pas ne pas être touché par cette proximité avec l'histoire intérieure de ceux qu'il côtoie. « Touché », donc « atteint » et donc aussi rendu plus vulnérable ! Cette forme haute de l'existence humaine qu'est le sacerdoce porte en elle-même les risques qui peuvent la détourner de l'axe où elle s'est pourtant fixée librement.
Le petit grain de folie de l'Évangile
La prière pour les prêtres se double de la prière pour le peuple chrétien. Car, si la disparition des prêtres met en péril l'avenir de la communauté, celle-ci met en péril l'avenir du sacerdoce. Il suffit qu'elle se laisse aller à la tiédeur, à l'indifférence, au manque de foi, qu'elle s'abandonne au climat général, pour qu'elle entraîne derrière elle les jeunes qui, en son sein, pouvaient orienter leur vie vers le Christ. S'il y a des jeunes qui refusent de faire le pas, il y a aussi bien des parents qui les confortent ouvertement - ou implicitement - dans ce refus. La vie du prêtre apparaît tellement peu en rapport avec une « situation » humaine ! Comment ignorer qu'elle comporte une réelle solitude affective, un travail sans plan de carrière, une constante disponibilité à servir, une absence de considération sociale et, pour finir, une rupture fréquente entre ce que le prêtre est susceptible d'apporter et ce qui est attendu et reçu ! Au moment d'une ordination, il faut prier pour le peuple chrétien, pour qu'il ne se laisse pas gagner par le laisser aller ambiant, terreau où ne peut plus germer une vocation.
Notre prière doit s'étendre à tous. Il s'agit de prier pour que chacun accueille en soi le petit grain de folie de l'Évangile. Il fallait un peu de folie aux hommes des premiers siècles qui demandaient le baptême ; ils savaient qu'ils s'exposaient au martyre du sang. Aujourd'hui, il faut un peu de folie dans le coeur d'un jeune pour s'approcher de l'autel du Seigneur ; il en faut également dans le coeur des parents pour s'en réjouir ! Mais cette folie est la sagesse de Dieu !
+ Père Guy-Marie Bagnard
Évêque de Belley-Ars