2009-05-16 - Message : Evangélisation et année sacerdotale
Nous voilà donc engagés, depuis trois ans maintenant, dans un mouvement d'évangélisation dont nous évoquerons tout à l'heure les étapes les plus marquantes. Le but recherché, c'est de transformer en évangélisateurs tous ceux qui ont été baptisés. Autrement dit, c'est une prise de conscience de la nature du Baptême.
Les Actes des Apôtres ont été remis le même jour, dans toutes les paroisses, au cours de la liturgie dominicale à tous les paroissiens ; la perspective était simple : lire et relire ce premier livre sur la mission pour nous imprégner de cet élan puissant qui a soulevé les débuts de l'Eglise, autour des Apôtres.
Depuis le lancement de la démarche d'évangélisation, un événement imprévu est venu s'inscrire dans notre vie diocésaine. Le 8 décembre 2008, a été ouverte à Ars une année jubilaire, en l'honneur de Jean-Marie Vianney, dont on fêtera, le 4 août 2009, le 150e anniversaire de la mort. L'événement, en lui-même, n'avait pas un retentissement majeur. Mais voilà qu'à Rome, le Pape a décidé d'ouvrir une année sacerdotale, en union avec Jean-Marie Vianney pour l'Eglise universelle. Cette nouvelle a été communiquée le 16 mars dernier par la Salle de Presse du Saint Siège. En voici le texte :
Cité du Vatican : Indiction de l'année sacerdotale. A l'occasion du 150e anniversaire de la mort du Saint Curé d'Ars, Jean-Marie Vianney, Sa Sainteté a annoncé, ce matin que, du 19 juin 2009 au 19 juin 2010, se tiendra une année sacerdotale spéciale qui aura pour thème : "Fidélité du Christ, fidélité du prêtre". Le Saint-Père l'ouvrira par la célébration des vêpres, le 19 juin, solennité du Sacré-Coeur de Jésus et journée de sanctification sacerdotale, en présence de la relique du coeur du Curé d'Ars apportée par l'Evêque de Belley-Ars ; il en fera la clôture le 19 juin 2010 en participant à une Rencontre mondiale sacerdotale sur la Place Saint-Pierre. Durant cette année jubilaire, Benoît XVI proclamera saint Jean-Marie Vianney "Patron de tous les prêtres du monde". Par ailleurs sera alors publié le "Directoire pour les confesseurs et directeurs spirituels", en même temps qu'un recueil de textes du Souverain Pontife sur les thèmes essentiels de la vie et de la mission des prêtres dans le monde d'aujourd'hui.
La Congrégation pour le clergé, d'accord avec les Ordinaires diocésains (Evêques) et les Supérieurs des Instituts religieux, se préoccupera de promouvoir et de coordonner les diverses initiatives spirituelles et pastorales qui seront mises en place pour faire percevoir toujours davantage l'importance du rôle et de la mission du prêtre dans l'Eglise et dans la société contemporaine, comme aussi la nécessité d'intensifier la formation permanente des prêtres en la reliant à celle des séminaristes.
Nous ne pouvons pas rester indifférents à cette initiative qui touche directement l'Eglise diocésaine. L'année jubilaire ouverte à Ars prend donc une autre dimension. La meilleure façon d'accueillir cette initiative, c'est de l'associer à ce qui est entrepris depuis plusieurs années dans le diocèse : joindre ensemble "évangélisation" et "année sacerdotale".
Je voudrais établir aujourd'hui ce lien en rappelant, en quelques mots, certains aspects de la vie de Jean-Marie Vianney qui le montrent comme un ardent évangélisateur.
Dans les hagiographies d'autrefois, il n'était pas rare de lire que celui dont on racontait la vie était déjà un saint depuis sa plus tendre enfance. Jean-Marie Vianney n'était ni "saint", ni "missionnaire" au jour de sa naissance. Par contre - c'est une vérité de l'histoire - Jean-Marie Vianney a été éveillé à la mission dans sa jeunesse, bien avant d'être prêtre.
- Dans sa vingtième année, quand il se prépare à la Confirmation, il veut ajouter à son nom de baptême celui de Jean-Baptiste. Ce qui l'impressionne chez le Baptiste, c'est son rôle de Précurseur. Il ouvre la voie au Christ. Il prépare le chemin au Christ dans les coeurs. Jean-Marie Vianney se sent proche de cette vocation. "Préparer le chemin" et, en même temps, "s'effacer". Deux attitudes qui sont ancrées dans la vie spirituelle de ce garçon et qui marqueront plus tard son ministère de prêtre.
- Lorsqu'il confie pour la première fois, son désir d'être prêtre, il en donne la raison : "Je voudrais gagner beaucoup d'âmes à Dieu". Ce sont déjà les paroles d'un missionnaire. Vouloir travailler pour que les hommes connaissent le message évangélique et en vivent, c'est l'orientation profonde qu'il veut donner à son existence ! Il a sans doute été frappé par les paroles de Jésus : "A quoi sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme !"
- Ses premières paroles, quand il arrive à Ars comme curé, c'est pour dire au jeune berger Antoine Givre qui lui indique la route de sa nouvelle paroisse : "Tu m'as montré le chemin d'Ars, je te montrerai le chemin du ciel." Cette réponse, qui nous est familière, a peut-être perdu de sa vigueur dans nos esprits, mais la vérité qu'elle exprime est profonde et donne l'assise sur laquelle Jean-Marie Vianney veut inscrire son ministère : mener les hommes à Dieu. Jean-Marie Vianney regarde et vit sa tâche de prêtre comme une passerelle qui permet à l'homme de rejoindre Dieu. On reconnaît sans peine le sens de tout ce qu'il a accompli sur Ars ! Et c'est pourquoi il pouvait dire du prêtre : "Le prêtre n'est pas pour lui... il est pour vous."
De ce bref rappel, il n'est pas difficile de tirer quelques vérités pour nous-mêmes, dans ce travail d'évangélisation où nous nous sommes engagés avec le diocèse.
1°) La paroisse : un espace pour l'évangélisation.
Quand Jean-Marie Vianney est arrivé à Ars, le village comptait 212 habitants. C'était une bourgade sans importance, une simple poignée de familles de paysans. Il n'a pas dit : "Qu'est-ce que je vais pouvoir faire ici ? A quoi occuper mon temps ? Je vais m'ennuyer ! C'est sans intérêt !" On le voit, au contraire, s'engager sur tous les fronts, au point qu'il ne pourra plus faire face à tout ! Sa mission : transformer chaque paroissien en apôtre.
La paroisse est, en effet, le lieu idéal pour la mission, car chaque baptisé est appelé à devenir missionnaire ! On a trop facilement laissé croire que la mission était l'affaire de spécialiste : par exemple, les "Missionnaires" qui partaient au loin, ou bien ceux qui avaient reçu une formation particulière ! De ce fait, la paroisse apparaissait comme une institution qui n'était pas concernée par la mission. Si bien qu'aujourd'hui, il ne s'agit pas d'abord d'ajouter des activités à d'autres activités, il s'agit de changer un état d'esprit.
2°) L'importance de la présence dans la durée
Jean-Marie Vianney est resté 41 ans au même endroit ! Quelle stabilité !! Aujourd'hui, nous éprouvons le besoin de changer, d'aller et venir, de voir d'autres horizons, d'être en contact avec des visages nouveaux, etc... Nous pensons qu'en changeant de lieu, nous allons changer d'intériorité ! Or la mission réclame une permanence dans la présence. Le facteur "temps" est un maître qu'on ne peut maltraiter ; aussi, pour nous qui sommes devenus des gens très pressés, la patience du paysan qui cultive son champ et qui respecte les rythmes de la nature doit rester un modèle pour celui qui est envoyé en mission. On se rappelle la parabole de Jésus au sujet du figuier qui ne porte pas de fruit les trois premières années. Au maître qui s'impatiente, le serviteur répond : "Laisse-le cette année encore, le temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il des fruits à l'avenir. Sinon tu le couperas." (Luc 13, 8-9).
3°) Une audace discernée
La crainte d'être accusé de prosélytisme, d'abuser de la liberté des autres par le jeu de l'influence et des discours séducteurs, nous conduit à entrer dans le silence et à taire les raisons d notre foi. Nous redoutons d'être taxés de "secte" ! Cette peur nous enferme dans le silence, alors que tout le monde, autour de nous, prend la parole et s'exprime sans aucune gêne !
Les Évêques de France ont insisté, en 1996, pour dire que proposer la foi, ce n'était pas l'imposer. Exprimer une conviction, ce n'est pas transgresser les relations humaines. Au lendemain de la Résurrection, les Apôtres affirmaient sans peur ce qui est au fondement de notre foi : "le Christ est vraiment ressuscité" - "Le Christ est Seigneur". Nous sommes souvent trop timides. Ce n'est pas pour autant qu'il faut s'autoriser à dire à n'importe qui et dans n'importe quelle circonstance, les convictions que nous partageons. La foi n'est pas un produit à vendre que l'on présente sur les rayons d'une "Grande Surface". Elle appelle le respect, le tact, l'amitié, le sens des médiations ; la confiance en la puissance de Dieu qui habite et travaille le coeurs !
Et pourtant, comme les Apôtres, il faut parler. parler avec sa langue... et parler avec sa vie ! On écoutait Jean-Marie Vianney parce que sa parole était inséparable de sa vie !
4°) L'humilité des commencements
Qu'on le veuille ou non, nous aimons tous voir le résultat de notre travail. L'artisan "voit" ce qui sort de ses mains. Le maçon "voit" la maison s'élever. Le menuisier "voit" la table à laquelle maintenant il peut s'asseoir. Le travail missionnaire est beaucoup moins perceptible dans ses effets. Le Christ a prévenu. L'image du grain de sénevé sera de tout temps d'actualité. Nous connaissons la parabole, mais nous la contournons très facilement. Ce que nous retenons, c'est le grand arbre. Il nous tarde de le voir. Il n'arrive jamais assez vite ! Rester trop longtemps en présence du grain de sénevé nous afflige, au point de tuer en nous l'élan des commencements !
Le mot d'un vieux proverbe n'est pas sans nous rappeler le grain de sénevé : "Le succès n'est pas un nom de Dieu." "L'Eglise, disait le cardinal Ratzinger, est à la fois le grand arbre et le grain minuscule." Si, aujourd'hui, nous nous trouvons sur les branches du grand arbre, comme fils d'une Eglise vieille de 2000 ans, néanmoins, comme ouvriers qui ?uvrons aujourd'hui, nous faisons inévitablement l'expérience du grain minuscule.
Combien de missionnaires sont morts sans avoir rien vu des fruits de leur travail ! Les foules n'attendaient pas Jean-Marie Vianney à son arrivée à Ars. Il a plutôt connu les calomnies et entendu de graves accusations portées contre lui pendant les premières années de son ministère. Servir la Bonne Nouvelle, c'est persévérer dans l'obscurité. Ce qui suppose chez l'évangélisateur, non seulement des lèvres qui parlent, des bras qui agissent, des pieds qui marchent, mais aussi une âme de feu, qui voit l'Invisible.
5°) Une espérance toujours en éveil
Jean-Marie Vianney a entendu des centaines de milliers de confessions. Il a dit bien des fois qu'il n'aurait jamais su ce qu'était le péché s'il n'avait pas été prêtre ! Quel vertige peut alors saisir celui qui est témoin de tant de misères ! Mais si Jean-Marie Vianney avait en horreur le péché, il aimait le pécheur. La noirceur du péché n'est jamais parvenue, chez lui, à faire oublier la grandeur de l'âme du pécheur. Au contraire, il voyait se dessiner un avenir où Dieu serait accueilli et deviendrait le Bonheur de l'homme. Il a dit un jour : "Il viendra un temps où les hommes seront si fatigués des hommes qu'on ne pourra plus leur parler de Dieu sans qu'ils se mettent à pleurer." C'est l'espérance qui fait de l'évangélisateur un apôtre infatigable !
+ Père Guy Bagnard, Évêque de Belley-Ars - 22 mai 2009