Dévoilement et vénération
En cette période de confinement, depuis plus de trois semaines vous êtes privés de la célébration de la messe. Cette privation douloureuse doit être saisie comme un appel à approfondir votre perception de l’Eucharistie. Or, il se trouve qu’aujourd’hui, Vendredi saint, nous avons une belle occasion de réfléchir au sens de l’Eucharistie. Car il se trouve que ce soir, selon la Tradition, les chrétiens ne célèbrent pas la messe. Cette pratique étonnante va donc éclairer la situation présente.
Le Vendredi saint, en lieu et place de la messe, l’Eglise célèbre l’office de la Passion. Celui-ci est centré sur deux réalités : d’une part l’écoute des Ecritures, surtout le récit de la Passion ; d’autre part la vénération de la Croix. Cette pratique liturgique nous confirme que la messe est l’actualisation du sacrifice de la croix. C’est-à-dire que chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, celle-ci rend présent le sacrifice de la croix. Dans l’Eucharistie nous est donné le mystère de la croix !
La liturgie de ce jour est unique et originale. Mais, à y regarder de près, le déroulement de la célébration du Vendredi saint se déroule selon un schéma qui est très proche de celui de la messe. Pour l’office de la Passion, le déroulement est le suivant : nous avons commencé par une prière silencieuse, suivie d’une oraison, puis nous avons écouté la proclamation des Saintes Ecritures. Après l’homélie, nous aurons une grande prière universelle d’intercession. Viendra alors l’introduction de la Croix, qui sera dévoilée. Suivra la vénération de cette Croix. Après la prière commune du "Notre Père" prendra place la communion. Nous communions en recevant les hosties consacrées à la messe du Jeudi saint, ce qui souligne le lien essentiel entre l’institution de l’Eucharistie et le sacrifice de la croix. Après un temps de recueillement silencieux, nous rassemblerons nos prières et la célébration prendre fin, mais sans le renvoi habituel.
Vous remarquez qu’il y a une correspondance assez étroite entre la structure de la célébration de l’Office de la Passion et celle de l’Eucharistie. La prière silencieuse du début de la messe correspond à l’acte pénitentiel par lequel nous nous préparons à l’accueil du don de Dieu. Dans les deux cas, il y a ensuite une oraison, puis la proclamation de la Parole de Dieu, avec une lecture tirée de l’Ancien Testament, la réponse d’un psaume et l’Evangile. Dans les deux cas vient alors une forme plus ou moins développée de prière universelle.
C’est alors qu’intervient la différence majeure. Dans un cas, nous avons l’introduction et le dévoilement de la Croix. Dans l’autre cas, nous avons la prière eucharistique, avec au centre, la consécration du pain et du vin. Dans un cas, il y a vénération de la croix, dans l’autre il y a une brève adoration du Christ qui se rend présent. Ensuite, nous retrouvons le Notre Père, suivi de la communion et la prière conclusive.
Je voudrais m’arrêter quelques instants sur ce qui constitue la principale différence : le dévoilement de la Croix. Tout à l’heure, la Croix va être apportée en procession, au milieu de nous. Elle sera alors voilée. Mais, peu à peu, le dévoilement de la Croix rendra présent à nos cœurs le mystère de la Passion du Christ. Nous pouvons hasarder une analogie avec ce qui se passe lors de la célébration de la messe. Tandis que le dévoilement de la Croix nous découvre la mort salvatrice du Christ, lors de la messe, la consécration fait bien davantage, en rendant sacramentellement présent le don que le Christ nous fait de son corps et de son sang : " Dans le sacrement de l’Eucharistie, Jésus continue de nous aimer jusqu’au bout, jusqu’au don de son corps et de son sang ", écrivait Benoît XVI dans son exhortation apostolique sur l’Eucharistie, Sacramentum caritatis. Il s'agit bien ici d'une simple analogie : la Croix n'est pas la substance du Christ. Mais dans un cas comme dans l’autre, nous sommes placés devant la réalité de la mort en croix du Christ par amour pour nous.
Le dévoilement de la Croix, pris dans le sens d'un enlèvement du voile, et donc d'une révélation, peut aussi être associé à la consécration eucharistique, dans le fait que, par la foi et dans la foi, les croyants reçoivent du prêtre, qui consacre la pain et le vin, cette révélation que ce que nous voyons n'est plus du pain et du vin, mais bien le Corps et le Sang du Christ : "Ceci est mon Corps... Ceci est mon Sang..."
Je souhaite m’arrêter à présent sur un deuxième élément original : la vénération de la Croix. Nous pourrions dire que cette vénération de la croix a pour pendant, dans la célébration eucharistique, la consécration et du corps et du sang du Christ. Celle-ci est marquée par l’élévation du corps et du sang, présentés à l’assemblée, qui marque un court temps de silence et d’adoration. Notons tout d'abord un détail, qui est significatif et qui nous incite à confirmer le rapprochement que je viens d’évoquer. Dans l'édition latine du Missel, en effet, l'antienne de l'adoration de la Croix, qui commence par ces mots : "Crucem tuam", " Ta croix, Seigneur, nous la vénérons et ta sainte résurrection, nous la chantons ", relève de la même composition musicale que la réponse, lors de la messe, à l'acclamation "Mysterium fidei" qui suit la consécration : "Mortem tuam..." " Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ". En vénérant la Croix, nous exprimons notre foi dans le salut apporté par la mort du Christ. Et lorsque nous célébrons l’Eucharistie, nous accueillons dans la même foi " le pain de la vie et la coupe du salut ", comme il est dit dans la prière eucharistique (Prière eucharistique n° 2).
Je voudrais terminer en réfléchissant avec vous sur le beau geste que la plupart d’entre nous faisons pour vénérer la croix du Christ : le baiser que le chrétien dépose sur les pieds du Crucifix. C'est comme le baiser de l'Épouse à son Époux, crucifié par amour. Chacun témoigne ainsi sa foi et son amour reconnaissant pour le Christ. Chacun des membres de l’Eglise Epouse du Christ montre par-là qu'il ratifie pleinement l'Alliance éternelle fondée dans le Sang du Christ. Il ouvre ainsi son cœur tout grand et se rend réceptif au don de l'Esprit-Saint communiqué par le Christ Epoux. Par la communion au Corps et au sang du Christ, nous recevons en effet l’Esprit Saint qui nous configure au Christ. Ce qui nous permet d’affirmer avec Saint Paul : "Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’aime et qui s’est livré pour moi » (Ga. 2, 20).
+ Pascal ROLAND