La résurrection de Lazare
L’Evangile que nous venons d’entendre parle de maladie et de mort : il nous rejoint bien dans ce que nous vivons avec la pandémie à laquelle nous sommes affrontés. Cette page d’Evangile est communément intitulée : la résurrection de Lazare. Mais si vous réfléchissez bien, vous conviendrez que ce titre n’est pas approprié. Il serait plus juste de parler de « réanimation » plutôt que de résurrection.
Autrement, nous risquons d’entretenir une confusion grave. Lorsque nous confessons la foi chrétienne, nous affirmons en effet que Jésus est ressuscité et chaque dimanche nous proclamons : « Je crois à la résurrection de la chair, à la vie éternelle » (Symbole des Apôtres)
ou bien encore « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir » (Symbole de Nicée-Constantinople). Cette profession de foi affirme autre chose que ce qui est advenu à Lazare.
Lazare a été simplement « ramené à la vie » ! Il retourne à la situation antérieure et retrouve le cours ordinaire de l’existence terrestre. Son corps n’a pas été transformé. Sa mort n’aura donc constitué qu’une sorte de parenthèse et Lazare bénéficiera alors comme d’un supplément de vie terrestre. Et quelque temps après, il connaîtra de nouveau la mort.
Notez un détail d’importance : on voit Lazare quitter le tombeau. Il sort les pieds et les mains liés par des bandelettes et le visage enveloppé d’un suaire. Tandis que la résurrection de Jésus échappe à la vue de tout le monde : le tombeau est vide et les apôtres trouvent les linges posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus (Jean 20, 6-7).
Il est donc à strictement parler impropre de parler de résurrection, car il ne s’agit pas de la même réalité que celle qu’a connu le Christ le jour de Pâques. Nous continuerons certes de parler de la résurrection de Lazare, mais conservons bien à l’esprit qu’il s’agit d’une réalité différente de celle de Pâques ! Cependant il y a bien sûr un lien entre les deux événements : il s’agit de manifester que Jésus est le Maître de la vie et que la mort n’a pas le dernier mot.
Je vous invite à reprendre le déroulement de cette histoire afin de comprendre pourquoi Jésus intervient et quel est le sens profond de cet événement hors du commun. Pour commencer, remarquons que, dans l’évangile selon St Jean, cet événement extraordinaire constitue le 7° et dernier signe posé par Jésus dans l’exercice de son ministère public. Il représente une dernière chance offerte aux Juifs incrédules de reconnaître en Jésus l’envoyé du Père.
Examinons de près la scène. Celle-ci se déroule à Béthanie, petit village dont le nom signifie « maison du pauvre ». Ce village est situé à 3 km à l’est de Jérusalem, sur la route qui mène à Jéricho. Nous savons que Jésus fait volontiers halte en ce lieu quand il se rend à Jérusalem. Il y a des amis : Lazare et ses deux sœurs, Marthe et Marie. Remarquons au passage la signification du nom de Lazare. Celui-ci veut dire « Dieu a aidé », « Dieu a secouru » : c’est déjà tout un programme !
Voici que cette famille est affectée par l’épreuve de la maladie et de la mort. Nous sommes dans une situation de manque. A première vue, on peut penser qu’il s’agit d’un manque de santé physique, puis le manque de vie biologique et enfin le vide affectif que celui-ci entraîne. Mais le manque le plus radical s’avère être un profond manque de foi.
L’enjeu de cet événement est clairement énoncé par Jésus dès le début. S’adressant à ses disciples, Jésus leur dit en effet : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez ». Le dialogue entre Jésus et les sœurs de Lazare est également centré sur la question de la foi. Il culmine dans l’affirmation suivante de la part de Jésus : « Moi je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et qui croit en moi ne mourra jamais ». Cette affirmation se prolonge par une question essentielle : « Crois-tu cela ? » Et après l’intervention de Jésus, l’évangéliste conclut :
« Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui. »
La question radicale qui est posée par cet évangile est toujours d’actualité. C’est la question de la foi en Jésus Fils de Dieu Sauveur. Cette question est posée de manière très concrète aujourd’hui comme hier, car elle est posée face à la réalité de la maladie et de la mort. Elle est particulièrement pertinente en ces jours où la pandémie fait rage et où la mort menace directement chacun d’entre nous. Cette question, nous pourrions la formuler ainsi : est-ce que Dieu nous aime vraiment, s’il nous laisse connaître la souffrance et la mort ?
Comme Marthe et Marie, on rêve volontiers d’un Dieu de type magicien, qui interviendrait pour éliminer toutes les difficultés de l’existence et qui nous dispenserait surtout de passer par l’épreuve de la mort. C’est-à-dire qui nous ferait échapper, en fin de compte, à notre condition de créatures mortelles. Or Dieu nous donne d’avoir part à sa vie divine, mais sans nous faire perdre pour autant notre statut de créature.
Marthe, puis Marie expriment le même reproche à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! » L’une et l’autre attendaient de Jésus qu’il se déplace immédiatement
pour guérir leur frère. Leur réflexion nous fait penser aux réactions fréquemment entendues dans les épreuves, telles que celles-ci par exemple : « S’il y avait un Bon Dieu, il ne permettrait pas que les malheurs surviennent ! » ou bien : « Si Dieu existait, il ne me serait pas arrivé cette pandémie ! »
Marthe et Marie sont affrontées à l’épreuve de Dieu qui tarde à se manifester. Leur expérience rejoint celle de tout être humain pour qui Dieu semble demeurer lointain et se taire, particulièrement quand on l’appelle dans une situation de détresse. Comme Marthe et Marie imaginent que Jésus va se rendre physiquement présent et répondre quasiment instantanément à leur demande, nous rêvons volontiers d’un Dieu qui répondrait tout de suite à nos exigences et qui manifesterait sa présence à notre guise.
Cependant Marthe pose un bel acte de foi en affirmant que Jésus peut encore intervenir : « Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». Lorsque Jésus lui promet « Ton frère ressuscitera », elle répond : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour ».
Nous constatons qu’en la personne de Jésus, Dieu se révèle en fait très présent à la détresse humaine, car Jésus est profondément bouleversé par l’épreuve qui touche Lazare et son entourage. Nous le voyons éprouver une forte émotion et même pleurer. Il ne rabroue pas Marthe et Marie, lorsque celles-ci lui reprochent de ne s’être pas déplacé plus rapidement. Mais, avec beaucoup de cœur et de délicatesse, il fait preuve de compassion. Plus profond qu’une simple réaction de la sensibilité, nous voyons parler les entrailles de la miséricorde divine. Jésus ne manifeste pas une impassibilité stoïque, mais en pleurant la mort de Lazare, il pleure la mort de l’être humain créé à l’image de Dieu. A travers Lazare, il pleure sur toute l’humanité soumise à la mort.
Il est capital que nous prenions conscience de la réalité et de l’importance de l’engagement de Jésus pour l’humanité. L’acte que pose Jésus en se rendant auprès de Lazare est déterminant. Les disciples en sont bien conscients. Quand ils s’étonnent de le voir décider de retourner en Judée, ils lui disent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? »
De plus, le fait de ressusciter Lazare revient pour Jésus à signer son arrêt de mort ! Cela précipite la décision de ses adversaires. C’est ce miracle qui va en effet provoquer la réunion du Conseil suprême des grands-prêtres et des pharisiens. Et l’évangile nous rapporte le fruit de cette réunion : « À partir de ce jour-là, ils décidèrent de le tuer » (Jn 11, 53).
On peut donc affirmer sans forcer les choses que Jésus livre sa propre vie pour sauver la vie de son ami Lazare. Il s’engage dans le chemin de la Passion et de la mort. Cela annonce ce qui va se réaliser sur la croix le vendredi saint : Jésus donne sa vie pour que nous recevions l’Esprit Saint qui vivifie.
Pour finir, arrêtons-nous quelques instants sur la prière de Jésus. Quelles sont les caractéristiques de cette prière ? La tonalité fondamentale est, d’une part, celle de l’attitude filiale et, d’autre part, celle de la gratitude : il rend grâces par avance. Jésus manifeste qu’il est assuré d’être écouté par le Père. Cette certitude de la réponse du Père est la contrepartie de son obéissance filiale : « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 6, 38).
Dans cette prière, nous voyons s’exprimer l’accord total et parfait entre le Père et le Fils. « Telle est la volonté de celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 39-40).
La résurrection de Lazare constitue pour nous aujourd’hui un appel à la foi ! Nous avons bien identifié l’enjeu de cet événement. Il est clairement énoncé par Jésus dès le début. C’est bien celui de la foi. Adhérer au Christ, c’est être assuré de vivre, dès maintenant, de la vie éternelle. « Amen, amen, je vous le dis : qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie » (Jn 5, 24). « Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit » (Jn 6, 47).
Le temps du carême nous est offert pour le réveil de notre foi. Il débouchera sur la célébration de la nuit de Pâques. Nous confesserons Jésus comme l’envoyé du Père ; comme celui qui possède toute l’autorité du Père pour donner la vie. Avec lui, nous nous abandonnerons davantage entre les mains du Père. Avec lui, nous confesserons la victoire de l’amour sur la mort !
+ Pascal ROLAND