L'Evangélisation aujourd'hui — Diocèse de Belley-Ars

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L'Evangélisation aujourd'hui

Enseignement de Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon - Ars, le 4 août 2021

Comme cela m'a été demandé, frères et sœurs, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui sont des réflexions d'ordre surtout pastoral, et donc en lien bien sûr avec la mission de l'Église. Notre mission commune qui est, vous le savez, d'évangéliser.

 Je ne vous donnerai pas une conférence sur le Curé d'Ars, il y a des personnes ici beaucoup plus compétentes que moi pour parler du curé d'Ars ; même si, bien sûr, son exemple et son influence ne sont pas étrangères à ce que je vais vous dire. 

 

Je parle dans le contexte actuel de l’Eglise en France, le contexte d’une société qui, vous le savez, est sécularisée ; une société où l’on rencontre un mélange d’indifférence et d’hostilité, avec – cela devient banal de le dire – une perte des valeurs chrétiennes, et aussi de l’anthropologie chrétienne, la baisse des vocations, etc. C’est sûr que le monde a changé, depuis l’époque du Curé d’Ars. Mais « le Christ, hier et aujourd’hui, est le même, Il l’est pour l’éternité » (He 13, 8), et c’est Lui notre Rocher.

Alors, dans ce contexte, comment évangéliser ? On pourrait en parler pendant des heures. Je vais simplement développer trois points.

1°) Notre rapport au monde.

2°) La pastorale ordinaire, une pastorale aujourd’hui bouleversée.

3°) Le renouveau missionnaire.

 

1°) Notre rapport au monde

Nous ne sommes plus dans une société chrétienne. Les valeurs chrétiennes, qui ont tant façonné notre civilisation, n’ont pas totalement disparu, Dieu merci, mais elles sont souvent considérées comme dépassées, elles sont parfois tournées en dérision ou contestées. On peut dire aujourd’hui, sans trop vouloir forcer ce trait, qu’il existe une forme de persécution pour les chrétiens. Le simple fait de s’exprimer sur certains sujets, comme l’avortement par exemple, devient parfois très compliqué ; vous êtes rapidement jeté en pâture dans l’arène médiatique. 

Vous connaissez tous cela.

 

Face à cette réalité, je pense qu’il y a deux excès à éviter, deux tentations : 

 

La tentation du repli : le repli sur soi, en se disant qu’on va constituer le petit reste, le petit reste d’une Eglise de purs, gardienne de l’orthodoxie, face à un monde en perdition. Dans cette posture-là, le principal danger, c’est de tomber dans la haine du monde – pas le monde au sens de « l’esprit du monde » chez St-Jean – mais la haine des personnes ; et du coup, d’être dans une attitude de jugement, de condamnation où l’on finit par ne voir que ce qui va mal. On devient incapable de voir ce qui est beau dans notre monde.

 

A l’opposé, l’autre tentation, serait de proposer un christianisme au rabais : on arrondit les angles, on évite de parler de ce qui fâche, et on finit par faire abstraction du mystère de la croix. Dans cette optique-là, on aura facilement comme ligne pastorale principale, ou comme ligne éditoriale, le désir de donner une bonne image de l’Eglise, être bien vu du monde. 

Ces deux tentations, telles que je les décrit, sont un peu des caricatures. Je les donne pour mettre en lumière les dérives qui nous guettent tous, différemment selon notre tempérament, notre histoire, notre éducation. Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos les tradis et les progressistes. Je crois au contraire que nous devons être capables de voir ce qu’il y a de bon dans ces deux tendances. 

 Il y a des bonnes choses des deux côtés. Et, à partir de là, il s’agit évidemment de trouver l’attitude juste qui est, comme souvent, une ligne de crête entre ces deux dérives. Un équilibre à trouver.

 

Quelques pistes pour cela :

a)  Première chose : Faire le deuil d’une société chrétienne. Non pas pour dire : « bon, tant pis, c’est comme ça, tout va bien ». Mais pour regarder la réalité en face, et pour ne pas se tromper de combat. Notre mission, ce n’est pas de maintenir à bout de bras quelque chose qui s’effondre. Parfois on dépense énormément d’énergie pour tenir à bout de bras quelque chose qui est en train de tomber. Ce n’est pas ça, notre mission. Notre mission, c’est d’annoncer Jésus Christ aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui, dans ce contexte d’une société sécularisée.

 

b) La 2ème chose : Face à la dérision, aux diverses formes de persécution, de diffamation, face aussi à toutes ces lois qui nous semblent tellement injustes et qui sont votées régulièrement – et parfois on a vraiment l’impression qu’il y a derrière une volonté délibérée de déconstruire tout l’héritage chrétien – face à cela, il ne faut pas réagir en laissant parler le vieil homme, en se durcissant, en entrant dans l’agressivité, dans la haine (du style : on va en découdre avec ce monde). Il s’agit au contraire de réagir d’une façon évangélique. Et donc d’abord commencer par se réjouir : se réjouir d’avoir une opportunité, une occasion de communier aux souffrances du Christ, comme le dit Saint Paul. Et on peut penser aussi à la béatitude de Jésus : « Heureux êtes-vous, si tout le monde dit toute sorte de mal contre vous à cause de moi ! » Et puis, ensuite, invoquer l’Esprit Saint, parce que les choses ne sont pas écrites d’avance, pour discerner l’attitude juste : face à ce que je perçois comme une agression, qu’est-ce que l’Esprit Saint va susciter comme réaction ? Parfois l’Esprit Saint nous demande de nous taire, comme Jésus qui pendant sa passion s’est tu. Et parfois l’Esprit Saint nous demande d’avoir le courage de dénoncer des injustices. Toujours bien sûr avec mesure et dans le respect des personnes, mais en ayant parfois le courage de dénoncer. 

Donc, vous voyez, ce n’est pas tout l’un ou tout l’autre.
Comme évêque, on reçoit beaucoup de courrier. Si l’on passe un mois sans parler, on reçoit des lettres de gens qui nous disent : « Comment ça ? vous n’avez pas le courage »… Et inversement, quand on intervient, on nous dit : « Taisez-vous ! »

C’est l’Esprit Saint qui nous montre quelle est l’attitude juste dans une situation donnée. Cela suppose une posture intérieure de bienveillance. Et cela suppose aussi de se former. Cela ne suffit pas de dire : « nos valeurs chrétiennes, nos valeurs chrétiennes »… Est-ce que nous sommes capables de montrer le bien-fondé de ces valeurs ? Et autrement qu’en termes de ‘permis’ ou de ‘défendu’.

Je vais prendre un exemple très simple : l’exemple de la chasteté avant le mariage. Aujourd’hui, si vous dites à des jeunes : « pas de boogie-woogie avant le mariage »… ils rigolent. Mais si vous êtes capables de leur montrer en quoi ce n’est pas simplement un interdit, mais c’est une façon de bâtir son couple sur des fondements solides, alors ça change. 

Récemment à Lyon, j’ai eu l’occasion de parler devant 30 à 40 couples de fiancés ; cette question est venue dans l’échange, et je leur ai dit comment la chasteté pouvait être une chance avant le mariage. Il y a un homme qui a demandé le micro, il s’est levé et il a dit : « Comment ça se fait qu’on ne nous a jamais dit ça ? Ce que vous dites, c’est lumineux, ça paraît évident, mais personne ne nous l’a jamais dit ».

Donc, il ne faut pas avoir peur de défendre nos valeurs, mais il faut le faire d’une façon qui pourra être accueillie.

c) La 3ème attitude face à cette situation, c’est de s’engager concrètement au service des pauvres. Vous savez qu’on a un pape qui insiste beaucoup sur cette réalité qui est une dimension essentielle de la vie chrétienne.
Je crois qu’on a trop souvent opposé la spiritualité (la prière, l’adoration, les sacrements) et le service des pauvres. Pourtant, si on lit l’Evangile, c’est assez clair que ce n’est pas l’un ou l’autre, si nous voulons suivre le Christ, les deux sont primordiales. Aujourd’hui, la précarité ne cesse d’augmenter.

Je crois que nous sommes vraiment attendus sur ce terrain. Il ne s’agit pas de le faire simplement pour être bien vu du monde, même si, il faut bien le reconnaître, cet engagement donne de la crédibilité au message de l’Evangile. Mais nous le faisons parce que nous voulons ressembler à Jésus, qui est pris de compassion devant toute forme de souffrance. Et, effectivement, on voit de belles choses aujourd’hui. Moi, je me réjouis de voir des initiatives comme « le Café joyeux » (des restaurants qui sont tenus par des personnes atteintes de trisomie) ou comme le « Foyer Notre-Dame des sans-abri » à Lyon, l’association Lazare (des jeunes adultes qui acceptent de vivre en colocation pendant un an avec des gens de la rue qui désirent se réinsérer), « le village Saint Joseph », etc.

Aujourd’hui, on voit que beaucoup de précarités sont liées à des carences affectives, et c’est parfois la conséquence d’un certain nombre d’idéologies que nous avons combattues, où on a voulu tout déconstruire (le mariage, la famille…), et on en voit les effets aujourd’hui (enfants de parents séparés, -- il y en a beaucoup--- familles recomposées, enfants de père inconnu, des mères célibataires, etc.). Alors, on pourrait réagir en disant : « On vous l’avait bien dit, vous avez ce que vous méritez »… 

Mais ça, ce n’est pas une façon chrétienne de réagir ; la façon chrétienne, c’est de réagir au mal par le bien. Je pense de temps en temps à cette expression dans l’Ancien Testament où il est question de la « vengeance » de Dieu : face à toutes ces infidélités, tout ce péché, le prophète annonce la vengeance de Dieu. Mais nous savons, nous, ce que c’est que la vengeance de Dieu. Comment Dieu s’est-il vengé ? En donnant sa vie pour nous ! C’est cela qui doit nous inspirer. On ne peut évangéliser ce monde qu’en l’aimant.


 

2°) Une pastorale ordinaire bouleversée, tiraillée 

Ce que j’entends par pastorale ordinaire, c’est la pastorale en paroisse : les baptêmes des petits enfants, les enfants et les jeunes, la préparation au mariage, la catéchèse, les obsèques, etc. Evidemment, ce n’est pas le tout de la mission de l’Eglise, il y a toutes les autres initiatives missionnaires. Cette pastorale ordinaire est un lieu d’évangélisation très important. Nous avons encore la chance d’avoir beaucoup de gens qui viennent frapper à la porte de nos églises.

Si je dis que c’est une pastorale bouleversée, c’est parce que tous ces gens qui demandent ponctuellement un sacrement, dans l’immense majorité des cas, n’ont pas vraiment vécu une rencontre avec Jésus Christ, et souvent ils sont dans « des situations complexes » (Pape François). Si bien qu’on se sent un peu tiraillé entre ce que nous avons à donner à travers les sacrements et ce que les gens demandent en fait.

Là aussi, face à cette situation, on peut pointer deux attitudes opposées :

La première, c’est celle qui consiste à dire aux gens : « voilà la règle, la règle c’est ça, et vous n’êtes pas dans les clous, quand vous serez dans les clous, revenez me voir ». Disons que c’est le légalisme.

Et l’attitude opposée, c’est le laxisme, on ferme les yeux, c’est pas grave…

Là aussi, je caricature, mais pour dire que, dans les deux cas, ce n’est pas bon, ni spirituellement, ni pastoralement.

Dans la première attitude, le légalisme, les gens se sentent jugés, souvent blessés. On en voit encore beaucoup, qui se sont sentis blessés profondément, parce qu’ils n’ont pas été accueillis dans leur situation, ou qui se sentent exclus, et ils se découragent. On le voit parfois avec des catéchumènes, qui vivent en concubinage, ce n’est pas toujours simple.

Et dans la deuxième attitude, le laxisme, on oublie que la vie à la suite du Christ, passe par des conversions. On entendait dimanche dernier Saint Paul dire dans la Lettre aux Ephésiens : « Vous ne devez plus vous conduire comme des païens » (Ep 4, 17). On redécouvre aujourd’hui qu’être chrétien, ce n’est pas vivre selon l’esprit du monde, c’est un choix radical. Et du coup, quand on est dans cette attitude laxiste, on prend le risque d’une religion sécularisée qui vit selon l’esprit du monde. De temps en temps, on entend cette réflexion : le monde a changé, le monde évolue, il faut que l’Eglise évolue…

Face à cette situation, il y a eu, il y a quelques années, Amoris Laetitia (19.03.2016), cette Exhortation Apostolique du pape François, suite à deux synodes sur la famille. Et le pape nous invite à éviter ces deux excès. C’est vrai que, à première lecture, l’accent est mis surtout sur le premier point : le pape dénonce le légalisme, il insiste sur la miséricorde, sur l’intégration de toutes les personnes. Mais, à y regarder de plus près, le texte invite à l’équilibre. Et là aussi, il s’agit d’une ligne de crête. Le pape redit clairement que la discipline de l’Eglise sur toutes ces questions est bonne, et qu’il ne s’agit pas de la remettre en cause. Mais il rappelle que la loi est au service des personnes : « le sabbat est fait pour l’homme et pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 27). Et donc ce qui doit changer, ce n’est pas la loi, ce n’est pas la discipline de l’Eglise ; c’est nous qui devons changer, c’est notre façon d’accueillir et d’accompagner ces personnes sur un chemin de conversion. 

Remarquons aussi que, dans Amoris Laetitia, il n’y a pas que le chapitre 8 : il y a aussi plein de bonnes choses que je vous invite à creuser et qui peuvent nourrir la pastorale familiale.

Pour ce chapitre 8, on peut regretter un certain flou, en particulier sur la question sensible de l’accès aux sacrements. Et de fait, on voit apparaître aujourd’hui plusieurs interprétations, pas toujours cohérentes, pour la mise en œuvre de ce texte. Si l’on se situe, comme j’essaie de le faire, dans une herméneutique de la continuité, comme le disait le Pape Benoit XVI, comment interpréter ce texte du pape François, qui s’inscrit donc dans une histoire ?

La première chose, c’est de reconnaître que la doctrine de l’Eglise est bonne et doit être défendue, en l’occurrence la doctrine du sacrement de mariage et la discipline des sacrements. Cela suppose de faire l’effort pour la comprendre. Je me souviens, quand j’étais jeune prêtre, où j’ai beaucoup accompagné des personnes divorcées et remariées, je m’étais rendu compte que, parmi mes collègues, beaucoup n’avaient pas fait l’effort pour comprendre pourquoi l’Eglise dit cela. Donc, cela suppose pour nous un travail pour comprendre le sens de cette discipline et pour l’accueillir. Et de fait, elle est importante, cette doctrine, d’abord parce qu’elle touche à la cohérence du mystère chrétien : le mariage est le signe de l’alliance. Dans Saint Jean, le premier signe posé par Jésus, c’est Cana. Le pape Jean-Paul II disait même que le sacrement du mariage est « le sacrement primordial » (même si historiquement c’est celui qui a été défini en dernier), parce que c’est le sacrement de l’alliance, et il s’enracine dans le livre de la Genèse, dans le grand projet de Dieu sur l’homme et sur la femme. Donc théologiquement il est très important.

Mais cette doctrine de l’Eglise est importante aussi pour les personnes. Parce que, comme l’a très bien montré le pape Jean-Paul II dans sa théologie du corps, les exigences de l’Evangile concernant en particulier le mariage – qui dans le contexte actuel nous paraissent complètement décalées –, ce ne sont pas des oukases qui tombent du ciel, cela correspond aux attentes les plus profondes de l’être humain, qui est créé à l’image de Dieu et qui est fait pour aimer.

Après avoir rappelé l’importance de cette doctrine, le pape nous fait bien comprendre que nous ne sommes pas des douaniers, mais des pasteurs. Et donc, il ne s’agit pas simplement pour nous de vérifier la conformité à une loi. Il s’agit d’accompagner les personnes sur un chemin de conversion et de croissance. Et cet accompagnement – c’est là où ça nous bouscule – ça demande un investissement pour nous, ça prend du temps et ça demande aussi une compétence, il faut un apprentissage, il faut être capable de prendre non seulement la dimension objective (c’est la doctrine qui la rappelle), mais aussi la dimension subjective de la morale, en tenant compte des personnes, avec en particulier tous ces conditionnements (le pape François a bien mis cela en lumière) tous ces conditionnements que nous avons les uns et les autres en raison de notre éducation, de notre histoire, etc. Conditionnements intérieurs ou extérieurs qui font que l’intégration des exigences morales n’est pas toujours immédiate, n’est pas toujours facile, et – on peut le dire – n’est pas toujours possible, ici et maintenant.

Et donc la bonne attitude du pasteur, c’est de tout faire pour aider la personne à comprendre pourquoi l’Eglise dit ça, en quoi c’est bon pour elle ; et puis l’aider à avancer, à cheminer, non seulement à comprendre la norme, mais à la choisir et à la mettre en œuvre. Et sur ce chemin d’accompagnement (et c’est un peu ça la nouveauté), ce que dit le pape François, c’est que, si on se rend compte qu’à un moment donné, la personne butte, risque de se décourager, risque même de quitter l’Eglise, alors là on se souvient que la loi est faite pour l’homme, et non l’homme pour la loi, et donc, dans un dialogue avec la personne, on peut convenir que, pour l’instant, l’accès aux sacrements sera possible, mais toujours dans cette visée d’intégrer la loi, de la mettre en pratique. C’est déjà ce que disait Jean-Paul II avec la « loi de gradualité ».

Alors, vous voyez, ainsi compris, ce texte d’Amoris Laetitia s’inscrit vraiment, je pense, dans la continuité des enseignements pontificaux. Le pape Jean-Paul II, lui, avait mis l’accent sur l’objectivité de la morale. Et c’était vraiment nécessaire, parce que, à cette époque-là, il y avait des théories morales qui commençaient à diverger un peu : il fallait vraiment rappeler l’objectivité de la morale. Le pape Benoit XVI, lui, a mis l’accent sur la dimension théologale de la morale. Et le pape François, lui, met l’accent sur la dimension subjective. Il faut prendre en compte cette part de subjectivité dans la morale.

Il faut reconnaître que les interprétations, quant à la mise en œuvre du texte du pape, sont diverses. Et l’on voit apparaître, dans certains diocèses, des parcours pour accompagner en particulier des personnes divorcées remariées. Dans ces parcours, il y a des choses très bonnes, avec un vrai souci d’accueillir ces personnes avec bienveillance, de leur montrer qu’elles ont leur place, et un chemin à suivre, un chemin de sainteté. Mais la limite, à mon sens, c’est que parfois le but affiché de certains de ces parcours, c’est l’accès aux sacrements. Parce qu’on considère que la personne ne peut pas être intégrée tant qu’elle n’a pas accès aux sacrements. Je pense que ce n’est pas fidèle à ce que le pape veut nous dire. Le souci doit toujours être d’intégrer les personnes ; mais chacun a son chemin, et pour certaines personnes, ce n’est pas celui de l’accès aux sacrements, ce peut être un autre chemin, mais qui sera aussi un chemin de sainteté.

Et c’est pourquoi je suis assez dubitatif, parce que je crois qu’on risque d’enfermer les personnes dans une attitude d’auto-justification (il faudrait relire la parabole des deux hommes qui vont prier au temple). On n’aide pas non plus à approfondir le sens de la participation à l’Eucharistie ; c’est un point très important : certaines personnes considèrent que participer à l’Eucharistie, c’est communier, et si on ne communie pas, on ne participe pas à l’Eucharistie ; c’est une grave erreur. Et enfin, je crois qu’on risque de relativiser le pilier de l’indissolubilité du mariage qui est, encore une fois, le signe de l’alliance. 

Je pense que, dans les années à venir, il va falloir insister pour former des pasteurs qui manifestent la miséricorde de Dieu, qui font en sorte que tout le monde se sente accueilli dans l’Eglise. Nous ne sommes pas une Eglise de purs. Mais il y aussi une urgence à lever ces ambiguïtés dont j’ai parlé, à former des pasteurs qui soient capables de tenir cette ligne de crête, de tenir ensemble amour et vérité.

Ces « situations complexes », elles risquent d’être de plus en plus fréquentes. Et le risque, si on ne se met pas d’accord entre nous, avec ces diverses interprétations, le risque, c’est un manque de communion dans l’Eglise, avec des pratiques qui risquent d’être très différentes d’une paroisse à l’autre, ou d’un diocèse à l’autre.

Et puis l’enjeu aussi – je le disais plus haut –, c’est d’éviter une forme de sécularisation de l’Eglise, un christianisme qui plaira à tout le monde mais qui au fond n’intéressera plus personne.

Ces questions sont importantes, très sensibles, et elles peuvent nous diviser. Je crois qu’il faut les aborder avec humilité, dans un esprit de dialogue, de bienveillance, et avec un grand souci de veiller à l’unité.

 

3°) Le renouveau missionnaire

L’époque dans laquelle nous vivons est compliquée, mais en même temps elle est passionnante : les gens ont soif d’amour vrai, les gens ont soif d’éternité, les gens, même sans le savoir, ont soif de Dieu. Et nous sommes dépositaires de la Parole de Dieu. Comme le dit Saint Pierre à Jésus : « Tu as les paroles de la Vie éternelle ! » (Jn 6, 68).

Alors, c’est vrai, l’Eglise connaît une forme de décroissance, mais il ne faut pas en rester simplement à ce regard-là, sinon on va déprimer. La crise que nous traversons est une magnifique opportunité pour nous laisser purifier par le Seigneur, pour revenir à l’essentiel, et pour retrouver un nouvel élan missionnaire. 

C’est certain que nous allons perdre des choses, peut-être une certaine reconnaissance, une certaine place dans la société, une certaine influence. On risque aussi de perdre des biens immobiliers. « Tout passe, Dieu seul demeure » (Ste Thérèse d’Avila)… « Rien ne nous séparera de l’amour de Dieu qui a été manifesté en Jésus Christ » (Rm 8, 39). Et donc, ce que nous traversons doit être l’occasion de reprendre conscience que notre trésor, ce n’est pas ce que nous avons pu accumuler depuis des siècles, c’est Jésus Christ, c’est Lui notre trésor, Lui qui nous fait regarder, comme dit Saint Paul, « tout le reste comme des balayures » (Ph 3, 8). Il faudrait là aussi relire la parabole de l’homme qui trouve un trésor dans son champ. Notre trésor, c’est Jésus.

L’heure est venue de revenir au Christ, chacun d’entre nous, que nous soyons laïcs, prêtres, pape, évêques, religieux, religieuses, chacun d’entre nous, nous devons sans cesse revenir au Christ. La vie chrétienne ne peut pas être réduite à une culture, ou à des traditions, des habitudes, des valeurs, des théories. Bien sûr, il y a tout ça dans la vie chrétienne, mais la vie chrétienne, c’est le Christ. Alors nous ne sommes pas obligés d’imiter à la lettre la vie du Curé d’Ars, mais je crois qu’il nous faut retrouver une forme de radicalité qui est le propre de la vie chrétienne. Bien sûr, ce mot de radicalité aujourd’hui, il faut l’employer avec prudence (il évoque d’autres choses). Mais vous voyez ce que je veux dire. Pour dire les choses autrement, il faut choisir la sainteté. On ne peut pas être des chrétiens tièdes. Il faut revenir au Christ : il est notre Dieu, notre Créateur, notre Berger, notre Sauveur ! Il est la Source de notre Espérance. Il est tout pour nous.

Où en sommes-nous dans notre relation au Christ. Quelle place a-t-Il dans notre vie ? Quel temps allons-nous Lui donner aujourd’hui, pour Le prier, pour Lui dire qu’on L’aime, pour « L’aviser » (comme disait ce paroissien au Curé d’Ars), aujourd’hui et demain et après-demain ? Cette fidélité quotidienne à la prière a un côté, disons, rugueux, besogneux, et ce n’est pas si évident dans le contexte d’aujourd’hui où on met l’accent sur les émotions, sur le ressenti. Demandons la grâce de la fidélité, de la persévérance.

Où en sommes-nous dans notre lutte contre le péché, dans notre refus de toute compromission, dans notre choix de suivre vraiment le Christ, dans notre choix de la sainteté ? 

Il nous faut revenir au Christ. Mais il n’y a pas que la vie chrétienne personnelle qui doit se recentrer sur le Christ. C’est vrai aussi pour la pastorale. D’où l’insistance du pape François sur une pastorale kérygmatique, qui est centrée sur le Christ, vivant, agissant aujourd’hui. On a bien compris, je pense, enfin j’espère, qu’il faut en finir avec une catéchèse où l’on parle de Jésus comme d’un personnage du passé, sans permettre à l’enfant d’entrer dans une relation personnelle avec Lui. On a bien compris, j’espère, qu’il faut en finir avec des aumôneries de jeunes où l’on parle de tout sauf de Jésus… Parfois, quand je rencontre des confirmands (il y en a qui sont super), mais parfois les bras m’en tombent : ce sont des jeunes qui ne connaissent pas Jésus. On a compris, j’espère, qu’il faut en finir avec des préparations au mariage où l’on parle de communication dans le couple (c’est important bien sûr), mais sans témoigner du Christ, sans dire à ces fiancés comment le Christ aujourd’hui vient sauver le couple.

[Brûler du désir d’annoncer le Christ Sauveur]
Je constate avec joie aujourd’hui un vrai renouveau du dynamisme missionnaire de l’Eglise. Avec en particulier – même si la mission ne se réduit pas à ça –, la découverte ou la redécouverte de l’annonce directe et explicite du Christ.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent, beaucoup sont en recherche. Si mon voisin me pose des questions sur ma foi, est-ce que je suis capable de lui dire qui est le Christ pour moi, comment Il est présent dans ma vie ? Vous connaissez la question que Jésus pose dans l’Evangile : « Et vous, que dites-vous, pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15). Est-ce que je suis capable de dire qui est le Christ pour moi ?

Il demeure toujours important de connaître le contenu objectif de la foi. Mais vous comprenez bien que ce n’est pas en récitant le Credo qu’on va évangéliser. Il faut que nous soyons capables de dire qui est le Christ pour nous, qu’est-ce qu’Il a fait pour nous, dans sa miséricorde ? Nous annonçons un Christ vivant, actuel, aujourd’hui.

Le pape nous le redit souvent : de par notre baptême, nous devons être des missionnaires, des disciples-missionnaires. Mais il ne suffit pas de se dire : je dois être missionnaire. Il faut se demander : en ai-je vraiment le désir ? Et d’où vient ce désir missionnaire ? Il vient de l’expérience que nous faisons d’être sauvés par le Christ. C’est pourquoi nous avons sans cesse besoin de purifier notre relation au Christ. Nous ne nous approchons pas du Christ simplement parce que nous avons besoin de Lui, pour notre bien-être personnel. Nous nous approchons du Christ, et nous devons nous approcher de Lui pour Le contempler, pour écouter sa parole, pour méditer sa parole, pour méditer le mystère de sa passion et de sa résurrection. Le Christ n’est pas là uniquement pour améliorer notre ordinaire… Il est Celui qui peut étancher notre soif profonde, notre soif de plénitude. Il est notre Sauveur. C’est à partir de là que vient le désir de témoigner. Si nous ne partons pas de là, alors nous allons tomber dans ce qu’on voit souvent, ces réflexions qu’on entend parfois : ‘Finalement, à chacun sa spiritualité. Moi, je suis chrétien, toi tu es bouddhiste, ou musulman, tout va bien’. Il faut repartir de l’expérience du Christ Sauveur. Pas simplement le Sauveur de ma vie, mais le Sauveur du monde ! Il faut que nous brûlions du désir d’annoncer Jésus Christ. Pas simplement le proposer, mais l’annoncer.

Il y a quelques années, les évêques de France ont publié le texte « Proposer la Foi dans la société actuelle » (1996), un texte qui dit des choses très justes, en mettant l’accent sur le respect de la liberté de l’autre. Personnellement, je crois qu’aujourd’hui, il faut passer de ‘proposer’ à ‘annoncer’. D’abord c’est un terme qui est plus biblique. Et puis, quand on va au restaurant, on vous propose le menu, et dans le menu on vous propose le plat du jour, mais vous pouvez prendre un autre plat sans problème. Eh bien, nous n’annonçons pas Jésus Christ comme une proposition au milieu d’autres religions : nous annonçons l’unique Sauveur du monde !

Ce désir d’annoncer Jésus, c’est la première chose, c’est ce qui est fondamental. Après va se poser la question des moyens. Il y a mille façons de témoigner. D’abord par sa vie, sa façon de vivre : est-ce que ma façon de vivre interroge mon entourage ? C’est une question qu’il est bon de se poser de temps en temps. La façon de vivre, c’est le service, c’est l’honnêteté, l’intégrité, la pureté. Mais sans exclure le témoignage explicite. Et je crois que c’est un peu la grâce de notre époque : il y a aujourd’hui une attente énorme en ce domaine, beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler de Jésus.

Pour cette annonce explicite, ce témoignage, il faut que nous acquérions cette capacité, cette simplicité de parler de Jésus, sans vouloir rien imposer, simplement : ‘voilà qui est Jésus pour moi’. Cela suppose un apprentissage. Cela ne veut pas dire que l’évangélisation serait d’abord une question de méthode ou de technique. Mais il faut bien reconnaître que, pour être capable de témoigner, il faut apprendre à débloquer des verrous et à dépasser certaines peurs. Il faut aussi apprendre à décrypter les attentes de nos contemporains : derrière certaines provocations se cachent bien des interrogations ; derrière l’engouement pour les spiritualités à la mode, spiritualités du bien-être, se cachent des soifs de Dieu.

Mais ce qu’il faut surtout apprendre, c’est à se laisser guider intérieurement par l’Esprit Saint, comme le montre si bien Saint Paul. Dans les Actes des Apôtres, on le voit qui fait des plans d’évangélisation pour aller à tel endroit, et l’Esprit Saint lui indique une autre direction. Il faut apprendre à se laisser guider intérieurement par l’Esprit Saint. Je crois que d’une manière générale, on a trop enfermé la vie chrétienne dans des cases. Apprendre à se laisser guider par l’Esprit Saint : c’est ce qui nous permet d’être libres et de discerner l’attitude juste, la parole juste, le geste qui va toucher.

Paradoxalement, dans notre société tellement marquée par l’individualisme, les gens qui revendiquent leur liberté individuelle se comportent souvent comme des moutons. On a supprimé beaucoup de repères, les gens sont un peu perdus, et ils ont tendance à se calquer sur ce qui se fait autour d’eux, dans le groupe d’amis, dans le quartier, dans les réseaux sociaux… Cela peut être aussi une tentation dans nos cercles cathos. Je ne dis pas qu’il faut être anti-conformiste, mais attention au mimétisme, soyons libres.

Il y a mille façons de témoigner, et tout le monde n’a pas les mêmes charismes, mais tous nous sommes appelés à être des témoins et à porter du fruit. Il faut demander à l’Esprit Saint de nous guider, de nous éclairer, pour que nous puissions vraiment être des instruments dans la main du Seigneur qui veut passer par nous, et qui veut aussi passer par les autres pour évangéliser, et qui veut passer par les pauvres.

Je suis frappé de voir qu’aujourd’hui ce renouveau de l’évangélisation coïncide avec la prise de conscience de la place que nous devons laisser aux pauvres dans nos communautés.

 

En conclusion : 

J’ai évoqué quelques aspects de la mission de l’Eglise dans le contexte actuel. La société qu’a connue Saint Jean-Marie Vianney était bien différente, mais il reste un modèle pour nous. D’abord il avait la haine du péché et un grand amour pour les gens. Il était d’une fidélité irréprochable envers l’Eglise et n’a jamais cédé à la tentation de réduire les exigences de l’Evangile, et il était plein de miséricorde, plein de bonté, de patience, et il cherchait toujours le bien spirituel des personnes. Il était lucide sur le côté parfois superficiel de la foi de ses contemporains, mais il brûlait du désir de faire connaître et aimer Jésus Christ.

Ne nous laissons pas déstabiliser par le contexte qui est le nôtre aujourd’hui. N’ayons pas peur. C’est à ce monde-là que nous sommes envoyés, c’est ce monde-là que Dieu aime et que nous devons aimer et servir. N’ayons pas peur de nous inviter à la table des pécheurs, sans oublier que nous sommes nous-mêmes pécheurs. 

Les exigences de l’Evangile semblent en contradiction avec l’esprit du monde. Et parfois même au sein de l’Eglise, nous sommes tentés de les relativiser ou de les passer sous silence. C’est oublier qu’elles ne sont pas arbitraires, et qu’elles sont un chemin de vie et correspondent aux attentes les plus profondes des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Demandons la grâce de savoir les accompagner avec patience et miséricorde sur ce chemin. 

Notre monde semble s’éloigner de Dieu, mais paradoxalement de plus en plus de personnes manifestent une soif de plénitude, manifestent le désir de trouver un sens à leur vie, une soif d’amour vrai. « Qui enverrai-je ? » dit le Seigneur (Is 6, 8). Ce matin dans l’Evangile, Jésus demandait de prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson (Mt 9, 38). Nous n’avons pas simplement besoin de prêtres, nous avons besoin de saints prêtres, mais aussi de saints diacres, de saintes vocations religieuses, de saintes familles, de saints laïcs, nous avons besoin d’hommes et de femmes qui brûlent du désir d’annoncer Jésus Christ et qui se laissent guider par l’Esprit Saint. Quelle mission magnifique ! Rendons grâce à Dieu qui veut passer par les pauvres pécheurs que nous sommes pour réaliser son œuvre de Salut. 


Mgr Olivier de Germay