Le Père Noël est un tueur — Diocèse de Belley-Ars

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Le Père Noël est un tueur

(par Eric Emmanuel SCHMITT)

Désolé, je vous dois une révélation sur le Père Noël. Vous tremblez ? Cela vous rappelle un mauvais souvenir? Ce jour, lorsque vous aviez sept ans, où des camara­des moqueurs vous révélèrent que le Père Noël n'existait pas. Tremblez, effectivement. Je viens vous apprendre que le Père Noël est un tueur.

 



Il ne tue pas les enfants. Il ne tue pas les hommes. Il tue les Dieux. Vous vous étonnez qu'un écrivain comme moi, qui par ailleurs aime tellement raconter des histoires, s'en prenne à une gentille légende inoffensive.
Légende, je n'en doute pas. Inoffen­sive, je suis sûr du contraire.

Dans ma famille athée, comme on ne célébrait en Noël que l'enfance et les valeurs familiales, on me fit croire très tôt à ce personnage retiré du monde qui, de ce lieu inaccessi­ble où il se trouvait, me regardait et m'entendait penser, pesait mes mérites et mes fautes, m'estimait digne ou non de ses cadeaux. J'avoue qu'aux premières tenta­tives qu'opérèrent mes parents pour me faire gober cette fiction je résistai fort; cela répugnait à mon rationalisme naturel mais, bon, puisque tout le monde le disait... J'arrivais donc à cet état inconfor­table des enfants qui savent que les Pères Noël rencontrés dans les rues ou les grands magasins ne sont pas des vrais Pères Noël mais que ces figurants payés par les commer­çants n'empêchent pas le vrai Père Noël d'exister quelque part. Ouf, quelle gymnastique... Dès novembre, inquiet d'obtenir mes cadeaux, je m'obligeai à un examen de conscience : avais-je été sage, poli, bon fils, studieux élève ?

Par intérêt, je me forçais de donner un peu de fond à tout ça. J'étais d'ailleurs régulièrement paniqué à l'idée que ce Père Noël, s'il existait, m'entendit, au fond de mon cerveau, émettre autant de doutes et de réticences sur lui. En vérité, je le craignais plus que je ne l'aimais. Ou, plus exactement, je craignais juste qu'il existe. Aussi, lorsqu'un groupe d'enfants plus âgés me fit découvrir la supercherie, je demeurai furieux davantage que triste : comment les adultes avaient-ils pu se moquer autant de moi ? Je leur retirai toute confiance. Fini ! Je ne me fierai désormais qu'à mon bon sens !
 

Et sans jamais le violenter... Si mes parents avaient sottement perdu leur cré­dit, il y avait encore plus grave. Ce dont aucun de nous ne se rendait alors compte, c'est que la légende du Père Noël avait tué pour des années toute possibilité de croire en Dieu. Jusqu'à presque trente ans, je confondis le divin et le surnaturel, ou plutôt je rangeai le divin dans le sac à malice du surnaturel, une boîte de farces et attrapes. Toute révélation était ravalée au rang de fable. Je refusai même d'examiner la question. Car la place que j'avais tenté de faire au père Noël me semblait la place où ces pauvres croyants mettaient Dieu. Tant pis pour eux ! Moi, j'avais été abusé une fois, je ne le serai pas deux. Je subissais une sorte de traumatisme métaphysique. J'étais condamné à l'incroyance, au scepticisme, au déni, au refus d'envisager...

Spiri­tualisme et théologie étaient rangés sur le même rayon que « Fluide glacial » et poil à gratter. N'avez-vous pas remarqué que le culte du Père Noël s'est développé à mesure que le christianisme périssait ? Moins le 25 décembre était fêté comme l'anniversaire du Christ, plus le 24 décembre devint le jour où le Père Noël décollait avec son char de rennes volants pour distribuer ses millions de cadeaux dans les cheminées fumantes.

Aussi suis-je toujours effondré, au moment de Noël, lorsque je vois la même violence répétée sur les enfants : on les abuse et ils l'apprendront bientôt. Lors des émissions télévisées, des trauma­tisés mettent sur le même plan croyance et superstitions, spiri­tualité et occultisme, foi en une religion et foi en l'irrationnel. Hier soir, par exemple, je subis le spectacle d'un débat où des méde­cins et des physiciens opposaient leur scientisme à des choses aussi différentes que la voyance, l'astrologie, le magnétisme et la foi. L'un d'eux alla même jusqu'à dire que le christianisme n'avait aucune valeur puisque le suaire de Turin n'était qu'une peinture ! Je reconnus là un vieux gosse trahi, un vieux gosse blessé par les men­songes, un vieux gosse fermé et sourd. Encore un coup du Père Noël !

ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT
Panorama N° 427