Que cherchons-nous ? Le bien-être ou le salut ?
« Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur », proclame l’ange apparu aux bergers la nuit de Noël. « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes », affirme de son côté saint Paul dans sa lettre à Tite. Sauveur, sauver, salut sont des termes que l’on n’emploie plus guère de nos jours, car peu de nos contemporains attendent explicitement un salut ! Et nous-mêmes avons-nous vraiment conscience d’avoir besoin d’être sauvés ? Selon la définition du dictionnaire, être sauvé, c’est être tiré d’un péril grave. Mais pour cela, il faut déjà avoir conscience d’être en danger ! Avons-nous conscience d’être en situation de péril ? Et si oui, avons-nous correctement identifié la nature de ce péril ?
A y regarder de près, l’homme contemporain est davantage préoccupé de bien-être que de salut !
Le bien-être est une notion passablement subjective, liée au ressenti et à l’évaluation personnelle. Le bien-être peut se définir comme un état de contentement, de durée variable, procuré par la satisfaction de besoins du corps et par la tranquillité de l’esprit. Constatez vous-mêmes cette quête effrénée du bien-être ! Avez-vous remarqué combien nous dépensons d’énergie et d’argent pour le bien-être physique, psychique, sentimental, matériel, social ? Un peu partout, en effet, vous voyez fleurir les salons de relaxation, les instituts de beauté, les salles de remise en forme, les cabinets de thérapeutes. Regardez bien ! On vous propose constamment des compléments alimentaires naturels, des produits cosmétiques, des techniques de détente contre le stress et la fatigue, ou bien encore des méthodes de développement personnel…
Je prends simplement pour exemple l’événement qui se tiendra dans un mois au parc des expositions de cette commune. Celui-ci s’intitule : Salon essentiel, bien-être et art de vivre. Ce salon réunira durant trois jours, pour la 4° édition, pas moins de 120 exposants dans les domaines de la beauté, de la santé au naturel, de la nutrition, du développement personnel, de l'éducation, et jusqu’à l'ostéopathie animale... ! La publicité annonce « Trois jours pour prendre soin de vous et des autres ». Bien-être et art de vivre : est-ce vraiment là que se situe l’essentiel ? Est-ce bien là que réside l’urgence pour l’homme contemporain ?
La multiplicité de propositions autour de la recherche de bien-être est symptomatique du profond mal de vivre de la société occidentale actuelle. Elles manifestent on ne peut plus clairement que nous avons quitté une époque où l’évangile façonnait les mentalités et orientait les comportements collectifs. Une époque où l’homme était ouvert à la dimension transcendante de son être et s’intéressait à son salut, parce qu’il se préoccupait de la vie éternelle. Vous pouvez constater qu’aujourd’hui on a abandonné l’attente du salut, tout simplement parce qu’on a renoncé à la dimension transcendante de l’homme. La religion est présentée comme dépassée et est remplacée par une sagesse qui a pour seul objectif pragmatique d’aider l’homme à vivre le moins mal possible dans ce monde strictement clos sur lui-même.
Certes, l’homme perçoit, aujourd’hui comme toujours, le tragique de l’existence. Il est inévitablement confronté à des questions existentielles, qu’il ne peut nier : je désire être immortel et je constate que je suis mortel ; j’aspire à faire le bien et pourtant je commets le mal ; je veux l’abondance mais je rencontre le manque ; je revendique la liberté et néanmoins je dois obéir. Aujourd’hui comme hier, Le peuple marche dans les ténèbres, il habite le pays de l’ombre, pour reprendre les expressions du prophète Isaïe, dans la première lecture. Le problème, c’est que l’homme a renoncé à chercher la lumière de la Vérité. Il tente uniquement de s’accommoder de cette situation douloureuse et de trouver les moyens de vivre tant bien que mal dans les ténèbres, bref, d’organiser sa survie dans un univers sans issue. Le joug pèse sur lui, la barre meurtrit ses épaules, le bâton du tyran le menace - toujours pour reprendre les images du prophète Isaïe - mais l’homme contemporain est fataliste et soumis passivement à son destin. Il tente de masquer ses souffrances, de fuir la réalité de sa finitude et de la mort, en consommant des drogues, des antidépresseurs ou des anxiolytiques.
Observez aussi comment il élimine tous ceux qui le dérangent parce qu’ils lui rappellent d’une façon ou d’une autre des fragilités qu’il ne veut pas voir : depuis l’enfant non désiré, jusqu’à la personne en fin de vie, en passant par la personne porteuse d’un handicap et par l’étranger. Il stocke littéralement les personnes âgées et malades dans des EHPAD ; enferme à tour de bras dans des prisons jamais assez grandes les personnes qui ont commis quelque crime ou délit ; repousse les migrants qui réclament une place dans les sociétés d’abondance. Tous ces comportements collectifs manifestent que l’homme contemporain renonce à trouver réponse aux énigmes que lui pose l’existence humaine. Il se contente de se donner les moyens de ne pas trop souffrir de sa condition marquée par la finitude, le mal, la souffrance et la mort.
C’est précisément dans ce contexte sans espérance que l’événement de Noël se révèle comme une libération décisive pour l’humanité : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». La nouveauté du christianisme est à redécouvrir et à mettre en valeur, parce qu’elle est vraiment révolutionnaire en ouvrant des horizons infinis à l’homme enfermé sur lui-même et soumis passivement à ce qu’il considère comme son destin. Au cœur de la nuit, au cœur de ce monde de violence, au cœur de cette prison dorée définie par le mal-être omniprésent, au cœur de ce monde sans avenir et dépourvu d’espérance, nous voyons se lever une grande lumière, un événement libérateur qui suscite une joie intense.
Paradoxalement, le signe puissant de ce renouveau, c’est un enfant ! La brèche est ouverte par un nouveau-né couché dans une mangeoire. Pourquoi ? Parce que, comme l’écrit la philosophe Chantal Delsol, « Dans son incomplétude même, l’enfant raconte la vérité humaine, cette vérité que trop souvent l’adulte cherche à éteindre ou à oublier (…) Le nourrisson est entièrement livré, entièrement remis, abandonné à ceux qui voudront bien le faire vivre ».
Le nouveau-né de la crèche nous enseigne que, comme tout enfant, nous sommes des êtres en attente d’achèvement. Il nous manifeste que la dépendance n’est pas un handicap, mais une caractéristique de notre humanité créée à l‘image du Dieu Trinité. Pour grandir, l’enfant dépend de l’amour qu’on lui manifeste. Vous le savez, sans amour, il dépérit et il meurt. C’est l’amour qui lui révèle le prix infini de son existence et le fait vivre. C’est également l’amour qui lui offre le sens de ce monde, au-delà de ce qui lui apparait comme hostile, inquiétant et dépourvu de sens. C’est encore l’amour qui l’éveille à la liberté et à la responsabilité personnelle, pour coopérer à l’œuvre de l’Esprit Saint dans le monde.
L’événement de Noël, c’est donc une double révélation : d’une part, Dieu se révèle comme l’Amour infini qui se donne pour notre salut ; d’autre part, il nous dévoile simultanément notre identité profonde. Il nous dit que nous ne sommes pas soumis à un destin aveugle, mais que nous sommes aimés infiniment par le Père, qui nous offre son Fils unique et que nous avons été choisis avant même la création du monde pour une destinée éternelle (voir Ephésiens 1, 3-14).
L’événement de Noël nous révèle l’extraordinaire beauté de notre humanité puisqu’elle est désormais habitée par Dieu, en Jésus, le Fils de Dieu qui nous y rejoint. En entrant dans les limites d’un temps et d’un lieu pour habiter parmi nous, Dieu, qui transcende le monde créé, lui a ouvert définitivement un nouvel horizon. A Noël, l’Eternel est entré dans l’histoire humaine pour la transfigurer. Le Christ nous a fait sortir d’une histoire cyclique, perçue comme un perpétuel recommencement, afin de nous faire pénétrer avec lui dans l’éternité de l’amour trinitaire.
Le salut consiste à accueillir le Christ dans la foi et à devenir ses disciples, car en lui nous reconnaissons l’Emmanuel, Dieu-avec-nous (voir Isaïe 7, 14), et nous croyons qu’il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde, comme il l’a promis (voir Matthieu 28, 20). Il y a 2.000 ans, à Bethléem, il n’y avait pas de place pour accueillir Jésus dans la salle commune : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean 1, 11). Aujourd’hui, Jésus trouvera-t-il une place dans notre cœur à chacun ? Prenez conscience qu’il vient nous tirer du péril d’une vie absurde et n’a d’autre ambition que de nous communiquer la vie éternelle.
Alors, cèderons-nous aux multiples offres de bien-être passager, proposées par notre société occidentale en profond mal de vivre ? Ou bien opèrerons des choix courageux et libérateurs en suivant Jésus pour nous attacher à l’amour qui ne passera jamais (voir 1 Co 13, 8) ? Dans le désert spirituel de notre société, nous avons à être « des personnes de foi qui, par l’exemple de leur vie, montrent le chemin vers la Terre promise et ainsi tiennent en éveil l’espérance », recommandent les papes Benoît XVI et François. Alors, soyons des témoins audacieux qui révèlent la Bonne Nouvelle : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ».
+ Pascal ROLAND