L'abbé Gabriel Gay — Diocèse de Belley-Ars

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L'abbé Gabriel Gay

Le 14 décembre 2013, nous célébrons le 70ème anniversaire de la rafle de Nantua. C’est l’occasion de découvrir la figure de l’Abbé Gabriel Gay, vicaire de Nantua mort en déportation.

 

Enfance et formation

Gabriel Gay nait le 13 juillet 1911, dans une famille de Saint-Rambert-en-Bugey dont il est le quatrième enfant. En novembre 1913, il perd son père d’une pneumonie, puis sa soeur aînée en 1921. En 1922, avec sa famille, il déménage dans la paroisse de son oncle, Curé de Marboz. Enfant timide, silencieux et serviable, mais enjoué avec ses cousins, il voit sa vie spirituelle s’épanouir, grâce à l’école et à la Croisade Eucharistique. Son oncle lui demande un soir s’il n’aimerait pas continuer d’étudier, pour devenir, lui aussi, prêtre. Et l’enfant répond simplement : « Oh ! Je veux bien. »

 

En 1923, Gaby a douze ans et entre au Petit Séminaire Saint-Nicolas à Bourg-en-Bresse. Il est très appliqué dans le travail de sa formation comme dans les études. On le trouve aussi fidèle à la communion fréquente, à sa visite quotidienne au Saint Sacrement, ou encore à un chemin de croix chaque vendredi. Sa mère décède lorsqu’il a 16 ans. Après une année de philosophie au Collège de Belley, il entre au Grand Séminaire en 19Il dit alors à sa vielle grand-mère : « Surtout, prie bien pour que je sois un bon prêtre. » Pendant tout son temps de formation, Gaby n’aura pas d’autres ambitions que celle de devenir un bon et saint prêtre. Et il mettra tout en oeuvre pour cela. Dans tout son travail, il met en oeuvre les ressources de son esprit méthodique et appliqué. Il se met aussi au service du vicaire de Belley pour faire le patronage.

 

Le 22 décembre 1934, Gaby reçoit le sous-diaconat. Il est ordonné diacre le 7 juillet 1935, il reçoit le diaconat. Il écrit : « Me voici devenu distributeur du Christ par la prédication et par l’Eucharistie et introducteur de la Trinité dans les âmes, par le Saint Baptême. »

Au matin du 21 décembre 1935, avant son ordination sacerdotale, il écrit encore : « Dans une demi-heure commencera l’ordination… Je vais être associé au sacerdoce de Jésus ; un peu de son âme va passer dans mon âme ; sa puissance aussi. Comme il faudrait que j’aie déjà fait passer en moi ses vertus ! » Puis, il se tourne vers ses parents : « … Maman et Papa, et toi aussi Marguerite, soyez avec moi, pendant que Jésus viendra. Priez-le pour moi, vous qui le voyez. Pendant les litanies, nous allons vous invoquer ; intercédez pour votre Gaby qui va être prêtre. Aidez-le de vos prières aujourd’hui et puis tous les jours de son sacerdoce. La pensée que vous êtes au ciel me donne confiance pour l’avenir… Sainte Vierge, bonne Mère, Reine des prêtres, je me jette dans vos bras, au moment de descendre à l’ordination. »

 

Vicaire à Nantua

En janvier 1936, l’Abbé Gay était nommé à Nantua. Il s’initie progressivement aux différentes besognes du ministère. Il avait à assurer spécialement le service d’une annexe de la paroisse de Nantua : la paroisse des Neyrolles, située à trois kilomètres de la ville. Il s’occupe également de la jeunesse de Nantua, pour laquelle il organise de nombreux mouvements : « Coeurs Vaillants » et « Âmes Vaillantes », Croisade Eucharistique, groupe d’enfants de ch?ur, aumônerie du collège de Nantua, sections d’action catholique… L’abbé Gay crée aussi un groupe scout. Avec eux, il organisera un Chemin de Croix sur la rude pente de la montagne d’Apremont jusqu’au sommet de la « Roche Merveilleuse ». Le souvenir de cette célébration restera longtemps dans les mémoires et elle sera « une étrange préfiguration de la passion réservée à quelques-uns de ses participants ».

 

Il est aussi un grand ami des malades. Il se donne avec dévouement auprès de ceux qui souffrent et visite avec le sourire les personnes résidant à l’hospice de Nantua. Il aide aussi, au cours de la guerre, des familles dont un membre est prisonnier. C’est ainsi que, toujours sur la brèche, l’Abbé Gay se dépense sans compter, malgré des insuccès passagers, inattentif aux difficultés suscitées par la guerre. Il continue à beaucoup travailler, pour préparer ses homélies et ses enseignements. Tout son apostolat prend sa source dans une profonde vie intérieure. Les paroissiens de Nantua n’ont pas tardé à remarquer avec quelle régularité leur vicaire faisait quotidiennement sa méditation à genoux, à l’église, et revenait dans la soirée passer de long instant auprès du Saint Sacrement. De plus, il célébrait la Messe avec beaucoup de soin. « Pour moi, confiera-t-il un jour à un confrère, le moment de la Messe le plus saisissant, c’est après la Consécration, lorsqu’on prononce : « Per Ipsum et cum Ipso, et in Ipso » ; par le Christ, avec le Christ, dans le Christ : ce doit être la vie journalière du prêtre. »

Depuis 1939, l’abbé Gay exerce son ministère dans l’incertitude de la « drôle de guerre » et à partir de 1942 sous le joug de l’occupant, ce qui ne lui facilite pas la besogne. Mais il est certain qu’en travaillant de tout son soeur au bien spirituel des âmes qui lui sont confiées, il aide au relèvement du pays. Le 14 décembre 1943, tout change.

 

La Rafle de Nantua

Ce matin-là, comme de coutume, l’Abbé travaille dans son bureau. Il a pris connaissance d’un « Cahier du Témoignage chrétien » sur le péril nazi, que M. le Curé lui a communiqué. Or on vient précipitamment l’avertir que les Allemands font une rafle dans la vielle.

Depuis 7h15, en effet, une troupe d’environ cinq cents hommes occupe toutes les issues de la ville. Les rues principales sont barrées et prises en enfilade par des mitrailleuses. Des patrouilles circulent, pénètrent dans les maisons, arrêtent hommes et jeunes gens. Ceux-ci, collés au mur, les bras en l’air, sont minutieusement fouillés. Chacun s’attend à être fusillé séance tenante.

« Mais tout à coup, écrira l’une des victimes de la rafle, un ordre bref est donné. Nous devons nous mettre en colonne. Nous sommes presque soulagés, car nous craignions le pire. La colonne se dirige vers la gare. Devant la salle des Pas-Perdus, deux officiers nous attendent, qui nous posent quelques questions. Interrogatoire de pure forme, puisque nous sommes tous dirigés vers des wagons stationnés en gare. Tout au long de la matinée, d’autres groupes nous rejoindront. »

Sans avoir à quitter son bureau, l’Abbé Gay est vite au courant. A plusieurs reprises, on vient l’informer de l’arrestation de tel ou tel de ses paroissiens. Lui-même, de sa fenêtre, a pu suivre avec anxiété les gestes d’un Allemand mettant en joue un passant, bien connu de l’Abbé, pour lui demander ses papiers.

(…) Durant le repas de midi, la conversation est fort animée avec M. le Curé. L’Abbé doit se rendre aux Neyrolles dans l’après-midi pour son catéchisme : est-ce bien prudent de partir ?… M. L’Archiprêtre serait d’avis de ne pas quitter la cure. « Après tout, finit par dire l’Abbé, j’ai mes papiers ; je suis en règle : je pars ». »

Mais l’Abbé n’ira pas plus loin que les dernières maisons de la ville de Nantua.

« On peut raisonnablement supposer qu’une heure plus tard l’Abbé se serait rendu sans encombre aux Neyrolles, le nombre des otages prévu par les Allemands se trouvant atteint. Mais lui-même devait aussitôt comprendre la portée de son arrestation. Dans un petit mot qu’il griffonne pour son curé, en quittant Nantua, après s’être excusé de n’avoir pas suivi son conseil (qui, du reste, n’était pas un ordre), il ajoute : « A quelque chose, imprudence est bonne : le vicaire suit son troupeau. »

« De fait, écrit l’un des prisonniers, ce fut pour nous, qui étions enfermés déjà dans les wagons, une vraie stupeur, mais en même temps un profond réconfort, de le voir arriver parmi nous ». »

Dans la soirée du 14 décembre, le train prend la direction de Bourg en Bresse. Il roule vite, impossible de s’échapper ! Arrivés à Bourg, les prisonniers sont conduits vers la Feldgendarmerie. Ils sont entassés dans une petite pièce pendant qu’on vérifie leur identité. Pendant ce temps, l’Abbé va de groupe en groupe pour réconforter les plus pessimistes.

A trois heure du matin les Nantuatiens regagnent la gare et s’entassent dans des wagons à bestiaux. « Nous avions pu nous grouper, dit un témoin, l’Abbé était avec nous. Dès que le convoi se fut ébranlé, notre premier soin fut de vérifier si toutes les issues étaient bien fermées. Les vasistas n’étaient que cloués : bientôt l’air de la liberté vient gonfler nos poitrines. (…) Un éclaireur se risque le premier et saute sur le ballast, aucune réaction des Allemands !… Au suivant !… L’Abbé va de l’un à l’autre, offrant l’absolution à ceux qui la désirent. On entend un bruit mat : encore un ami qui saute !… » Quarante détenus ont retrouvé ainsi la liberté.

L’Abbé Gay a-t-il envisagé de s’évader ? Il semble que non. Il est prêtre : dès ce moment, il comprend qu’il a charge d’âmes. Le bon pasteur ne quitte pas son troupeau. Son devoir est de demeurer au milieu de ses compagnons d’infortune !

Arrivés à Dijon, les évasions sont découvertes. Après avoir stationné toute la journée en gare, le convoi repart vers 17h00. Au matin du 16 décembre, les Nantuatiens sont à Laon, où ils stationnent encore toute la journée. « Pour passer le temps, l’Abbé Gay et l’organiste de Nantua, Marcel Monnet, font appel à tous les chanteurs volontaires. Tout le répertoire des vieilles chansons françaises devait résonner aux oreilles étonnées des Allemands ».

 

A Compiègne

C’est le 16 décembre 1943 que les « terroristes nantuatiens » arrivent à Compiègne. En rang par dix, ils se rendent au camp de Royallieu à deux kilomètres de Compiègne.

Arrivés au camp,très vite, l’abbé Gay est repéré par le « Père Jean », un prêtre du diocèse d’Amiens qui est reconnu officieusement comme étant l’aumônier du camp. Avec d’autres prêtres, qui se trouvaient dans le camp, ils vivront, en communauté, dans la petite pièce qui servait d’aumônerie.

« On a pu dire que, si Compiègne est l’antichambre du bagne, il n’en est que l’antichambre : la vie sans travail obligatoire, en effet, avec possibilité de recevoir lettres et colis, est presque acceptable. Si le régime alimentaire est réduit au strict minimum, des distributions de la Croix Rouge demeurent possible et l’Abbé Gay bénéficiera plusieurs fois de provisions, envoyés par ses paroissiens de Nantua. »

En dehors des corvées, le temps risquait d’être long. Aussi le « Père Jean » avait organisé toutes sortes d’activités. Plusieurs Messes étaient célébrées chaque jour. Cours, conférences, catéchismes, chapelet, s’échelonnaient tout au long de la journée.

L’abbé Gay, lui, s’emploie à la bibliothèque du camp qui est peu fournie. Il accueille et conseille judicieusement et avec le sourire les « clients » qui y venaient. De plus, avec l’organiste de Nantua, il monte une petite chorale. Ainsi, tous les dimanches une Grand’Messe solennelle est chantée !

Se faisant tout à tous, l’abbé Gay gardait un contact privilégié avec ses compatriotes. Fréquemment, il va les voir et reçoit sans cesse leur visite. Ils se communiquent les différentes nouvelles qu’ils peuvent recevoir de la cité catholarde.

Malheureusement, l’effectif du camp augmente de jour en jour. Tous savent que dès qu’il y a plus de 3000 hommes, un départ vers l’Allemagne est organisé.

C’est ainsi que le samedi 22 janvier 1944, l’abbé Gay part pour l’Allemagne avec tous ses compatriotes sauf un qu’ils laissent à Compiègne gravement malade.

On ne peut imaginer l’horreur de ce voyage à 120 par wagon dans lesquels il est impossible de bouger… Lorsqu’un prisonnier arrive à s’évader lors d’un arrêt, il est poursuivi et les représailles sont féroces tant contre ceux qui sont rattrapés que vis-à-vis de ceux qui sont enfermés dans les wagons.

Il fait chaud. On manque d’air. Les odeurs sont épouvantables. L’angoisse est terrible.

Le dimanche 23 janvier, le train stoppe en gare de Trèves. Ce n’est qu’une halte pour apporter un peu de nourriture : de la soupe d’orge que des détenus vont chercher sous bonne escorte. Vers 13h00 le train se remet en marche. Les nerfs sont tendus à l’extrême et l’abbé Gay doit intervenir pour apaiser des querelles. « Avec l’Abbé, nous sommes quelques-uns à réciter un chapelet, pour demander l’aide de Dieu. Mais le crépuscule arrive et, avec lui, commence la nuit la plus épouvantable qu’on puisse imaginer. Plusieurs de nos camarades perdent complètement l’usage de la raison », écrit un de ceux qui étaient dans le wagon avec le vicaire de Nantua. Écoutons-le encore : « De tous côtés, nous entendons des râles. L’Abbé Gay réclame le silence. Il fait appel à l’énergie des moins asphyxiés et leur demande de signaler tout camarade qui aurait perdu connaissance, afin de le faire transporter près des lucarnes. Perrin, de Nantua, était assis, ne donnant plus signe de vie. L’Abbé réussit, en le trainant sur d’autres camarades, à l’amener près de la bouche d’air. Mais il faut parlementer et, finalement, employer les grands moyens, pour obtenir une petite place. »

A l’aube, l’Abbé accompagnera jusqu’à la mort un homme d’une soixantaine d’année qui a été piétiné toute la nuit.

Le train roule toujours. Et c’est vers 11h00 du matin, le lundi 24 janvier, que le convoi entre en gare de Buchenwald.

« A mesure que nous descendons, écrit le compagnon de misère de l’Abbé Gay, les blessés sont achevé d’une balle dans la nuque. On nous fait former en colonnes de 100, par rang de 10, pour prendre la direction du camp. Les chiens poursuivent les traînards et labourent leurs jambes de cruelles morsures.

« L’Abbé demeure près de nous ; sa soutane lui attire déjà les risées et les quolibets des gardiens. Mais il demeure calme et fier devant les brutes. Après nous avoir soutenus durant l’infernal voyage que nous venons de faire, sa présence nous réconforte, au moment où il faut franchir le seuil du camp, à la réputation déjà sinistre ».

 

Buchenwald

Le camp de Buchenwald est véritablement un lieu de déshumanisation lente.

Pour l’abbé Gay, comme pour tous les arrivants, il aura à subir les odieuses et savantes transformations par lesquelles il deviendra un bagnard immatriculé. « Avec ses camarades, il n’aura pour dormir qu’une place étroite, puisqu’ils sont huit, et parfois davantage, à partager le même compartiment de 3 mètres sur 1,80 mètre, avec de la paille de bois en guise de matelas ».

Longs appels matin et soir, corvées qui font ramener aux bagnards de lourdes pierres pour les réparations du camp, nourriture limitée (un morceau de pain, un litre de soupe et cinq pommes de terre par jour), tel pouvait être ce qui faisait le quotidien de l’abbé Gay et de ses compagnons. N’oublions pas que nous sommes en janvier et que le camp est recouvert de neige.

Le vicaire de Nantua fera aussi la connaissance des « kapos ». Ainsi des les premières heures de son arrivée, alors qu’il a dû abandonner tous ses vêtements et objets personnels, l’abbé a vu l’un de ses « kapos » se précipiter sur lui. Il déchira le bréviaire et détruisit le chapelet de l’abbé en disant : « Ici, Dieu n’a pas le droit d’entrer ». Même si tout culte était interdit, Gabriel Gay n’hésita pas à réunir discrètement quelques camarades pour réciter ensemble quelques prières et recevoir des paroles de paix.

« Il ne peut être question de célébrer la Messe. (…) Heureusement, il pourra faire la connaissance d’un prêtre, le père K., qui travaillait au bureau politique du camp, et, grâce à lui, recevoir de nouveau les Saintes Espèces. Dès lors, redevenu tabernacle vivant, l’Abbé Gay continuera avec précaution son ministère ; plusieurs communieront de sa main, faisant à deux ou trois leur action de grâces, comme s’ils conversaient ensemble ».

Il accompagnera aussi des mourants. Pour l’un de ses paroissiens de Nantua, il organisera même une petite cérémonie funèbre, alors que pour ce simple geste il risquait la pendaison !

Il ne restera pas longtemps à Buchenwald. En effet, le 22 février il partira dans un convoi pour le camp de Flossenburg. Et c’est le 24 février, habillé du fameux pyjama rayé, que l’abbé gay arriva à cette nouvelle étape de son chemin de croix. Comme tous les autres, il y est accueilli par cette formule : « Ici, pas de malades : il n’y a que des morts ou des vivants ».

« Dès le lendemain de leur arrivée, on leur fait remplir des fiches individuelles. (…) Dans la longue file des bagnards, l’Abbé se présente, décline son nom, prénoms, date de naissance. A la question : « Profession ? » il répond fermement : « Prêtre ! ? Malheureux, rétorque l’interprète, ne dis pas cela tu vas te faire zigouiller. Je vais mettre : jardinier, par exemple. ? Non, reprend l’Abbé. Je ne veux pas. Je ne dois pas avoir peur de montrer que je suis prêtre ; inscris prêtre ». »

 

Hradischko

Le 2 mars 1944, 350 hommes sont choisis pour former un contingent à destination de Hradischko, en Tchécoslovaquie. L’abbé Gay et sept autres nantuatiens, dont un seul, Leroux, reviendra, en font partie. « Une année entière allait passer, durant laquelle l’Abbé Gay atteindrait aux plus hautes cimes du détachement et de la charité. »

Hradischko est un camp de travail : 12 heures par jour et par tous les temps pour des chantiers de terrassements. Le dimanche le travail s’arrête à 11h00, le reste de la journée étant occupé à l’entretien des baraquements et aux soins de propreté personnelle. Les prisonniers sont sous la coupe des Kapos, tous allemands, prisonniers de droit commun et qui sont sous la responsabilité des SS. Le camp est constitué de Polonais, Espagnols, Italiens et Russes, sur lesquels les Kapos ont liberté de taper selon leurs désirs. Entre tous ces hommes règnera bientôt une atmosphère de ménagerie, savamment entretenue par les SS.

Le camp ne comporte pas d’installation sanitaire. L’eau arrive par camions souvent en panne. En cas de manque d’eau, les prisonniers n’ont jamais eu l’autorisation d’organiser une corvée d’eau à la rivière. Les vêtements, chaussures ne seront à peu près jamais renouvelés. enfin, pour un français, il était pratiquement impossible de se faire admettre à l’infirmerie.

C’est dans ce camp, que l’abbé Gay exercera son ministère avec charité et courage jusqu’au bout.

Il est le seul prêtre. Avec lui, il y a un séminariste. Il se sent chargé d’une mission toute spéciale auprès de ces bagnards. Dans la foi, il l’accepte et l’accomplira sans faiblir. Sur le camp, il porte un regard lucide et plein de foi. Il le considère comme sa paroisse car il en est certain, le Christ l’a envoyé là pour être le « pasteur » de ces brebis abandonnées des hommes.

Sur la route qui mène au chantier, le soir dans le camp, l’abbé étonne par sa maîtrise de lui-même, son sourire inaltérable, son calme, sa tranquille possession de lui-même. « Jamais je ne l’ai entendu se plaindre », dit un témoin, « face aux privations, la faim qu’il ressentait comme les autres (il fut surpris cependant donnant une partie de son pain à des malades), sous les coups qu’il recevait peut-être plus que les autres, sa force de caractère les étonne tous. Ce courage tranquille n’est pas le résultat d’une timidité : il exige trop d’énergie pour qu’il soit possible de s’y méprendre. Il faisait face, poussant tranquillement sa brouette, s’arrêtant pour parler. Il a parfois porté plainte pour faire cesser les injustices. Reconnus par ses ennemis eux-mêmes, son intrépidité fut un grand exemple pour ses camarades. Grâce à cette fermeté, l’abbé réussit à tenir physiquement beaucoup mieux que sa faiblesse de constitution ne le laissait espérer. »

Il priait pour les uns, les autres. « Voyez-vous mes amis, ce matin je me suis uni à toutes les messes qui se disent dans le monde. » Il invitait aussi à se rassembler clandestinement afin de se tourner ensemble vers le Seigneur.

Plein d’Espérance, il pensait aussi à l’avenir, disant à ses amis ce qu’il ferait dans l’église dont il espérait un jour avoir la charge.

 

L’ultime témoignage

Avril 1945, les russes avancent, la tension au camp d’Hradischko augmente.

Voilà que le 9 avril 1945, de jeunes SS remplacent les kapos qui encadrent les prisonniers pour aller sur le chantier de travail. Tout à coup, « couchez-vous » crie-t-on à la colonne. Une rafale de mitraillette leur passe dessus, certains sont touchés. La colonne reprend sa route et on recommencera cinq fois ce jeu de massacre. Le lendemain, une quinzaine de prisonniers seront ainsi abattus. Un soir, un prisonnier cueille un pissenlit en bordure de la tranchée où il travaille, il est abattu. Il réclame un prêtre, on va chercher l’abbé qui le bénit et il meurt. Le soir un allemand a entendu que les SS ont décidé de tuer l’abbé. Pour l’instant, lui est tout occupé à son ministère sacerdotal, il parcourt les chambres, encourage, absout. Ses chaussures sont en si mauvais état que l’un des prisonniers demande à l’interprète une meilleure paire de chaussure de peur que, l’abbé ne pouvant marcher assez vite ne soit tué. Ce que fait l’interprète pour son « bienfaiteur. » L’inquiétude pèse sur tous : l’un d’eux demande à être confessé. Ce seront les dernières paroles de réconfort de l’abbé.

Il ne se fait pas d’illusion : les SS l’ont bien repéré. Il convie le séminariste à qui il confie ses dernières volontés, Il se confesse et « nous nous faisons nos derniers adieux. Il me charge de saluer sa famille, ses paroissiens de Nantua, son évêque. Tu leur diras que j’ai toujours pensé à eux. Il m’encouragea beaucoup devant l’angoisse de la mort qui m’étreignait. Ce soir me dit-il, ressemble un peu au jeudi Saint. C’est le moment de dire : Père, que ce calice s’éloigne de moi. Cependant que votre volonté soit faite ! »

Ceci dit, l’abbé retourne auprès des autres.

Le lendemain, 11 avril, les allemands sont retirés des colonnes. Il se formera deux colonnes de cent hommes, et puis le reste, une quarantaine de prisonniers, dont les nantuatiens. Tout va bien jusqu’à l’approche du chantier, lorsqu’une rafale éclate, les sentinelles vident alors leur chargeur. Un ordre est donné : « debout ! » Une vingtaine de morts restent sur le terrain. La plupart sont atteints mais ils doivent vite rejoindre les autres qui s’apprêtent à reprendre le travail. Certains, moins touchés, se mêlent aux autres travailleurs. Pour ceux qui sont blessés et se traînent, il n’en est pas question, ils s’effondrent dans l’herbe sur le bord de la tranchée. On les fait déplacer puis on les envoie se mettre à l’ombre dans un petit bois. L’abbé est blessé, marche difficilement, il a perdu ses lunettes. Il passe près d’un camarade qui lui propose discrètement de le cacher ; il refuse, disant que les SS l’auront vite repéré et que tous deux seraient fusillés. « Que la volonté de Dieu soit faite » dit-il. A peine ont-ils disparu dans le bois que retentissent des rafales de mitraillettes ; puis des coups de feu épars indiquent les coups de grâce. Il est environ 9h. du matin.

« Si ma pauvre vie est nécessaire pour faire cesser ces massacres, je l’offre volontiers. » Ces paroles de l’abbé, dites le premier jour des tueries de Hradischko s’accomplirent à la lettre. Moins d’une heure après la sauvage exécution, arrive un ordre du commandant de la place interdisant de tirer sur les prisonniers.

« Sa mort fut un grand vide écrit l’un de ses amis, nous nous sommes brusquement aperçus dés les premières heures que quelque-chose d’indispensable nous manquait, quelque-chose où plus exactement quelqu’un. » Les prisonniers allemands eux-mêmes rendirent hommage à son cran et à son courage.

« Ma dernière vision de lui dit un témoin fut un corps disloqué par les rafales de mitraillettes et pourtant son regard restait doux. Je reste persuadé que cette sérénité venait des prières qu’il adressait à Dieu, pour le pardon de ses bourreaux. Puis les SS les emmenèrent dans le petit bois pour les achever. »

A partir de novembre 44 l’abbé Gay avait réussi à avoir quelques difficiles contacts, par intermédiaire, avec le curé de Stechovice, près de Hradischko, l’abbé Betik, qui, après la libération, dévoila dans une revue religieuse paraissant à Prague, les relations qui s’étaient établies entre les deux prêtres (hosties consacrées, livres, bulletin de la société de persévérance sacerdotale), ce qui achève de dépeindre la physionomie religieuse de l’abbé Gay.

Le 26 avril le camp est évacué. Le 8 mai, en train ils passent la frontière autrichienne. Les allemands ont l’intention de faire sauter le train, mais les Partisans tchèques s’en emparent : c’est la délivrance

 

Cette biographie est basée sur l’ouvrage des Pères Armand et Givre, publié après la guerre, et sur les articles du P. Le Bourgeois, curé de Nantua.

 

 

Le 70ème anniversaire de la « rafle de Nantua » attire l’attention sur l’Abbé Gabriel Gay. Dès 1948, les chanoines Armand et Givre avaient publié un ouvrage sur la vie et la mort de ce prêtre exemplaire. Sur la demande de plusieurs prêtres du diocèse, il est question de faire rédiger un nouvel ouvrage qui situe davantage les circonstances de cette vie et de cette mort dans le contexte historique.

Toutes les personnes qui auraient connu l’Abbé Gabriel Gay ou auraient reçu un témoignage à son sujet, sont instamment invitées à se manifester :

soit au P. Christian Josselin (évêché de Belley-Ars – CS 60154 – 01004 Bourg-en-Bresse – 04 74 32 86 53)
soit au  curé de Nantua (4 rue du Cloître – 01130 Nantua – 04 74 75 02 84).